Kirill
Serebrennikov
La religion est-elle à vos yeux une forme d’addiction ?
Je pratique le bouddhisme. Ce n’est pas une religion. Il ne s’agit pas de croire en Dieu. Il s’agit de votre rapport aux autres humains, de votre connexion avec le monde. Le bouddhisme est terre à terre. Je suis contre toute forme d’obscurantisme, contre ceux qui vous disent quoi penser. Je me pose des tas de questions, sur le monde, l’univers, les gens qui m’entourent.
La religion impose des réponses. L’art consiste à poser des questions. Le film montre que la religion est une forme de manipulation, utilisée par un jeune homme pour manipuler ceux qui l’entourent.
La religion est sa façon de gérer la peur que la sexualité lui inspire ?
La peur, la frustration aussi. C’est toujours la partie la plus sombre de l’inconscient qui pousse à chercher des outils pour survivre à ses frustrations. Le jeune protagoniste du film a trouvé la religion. En Russie, la religion est partout.
Comme aux Etats-Unis, les prédicateurs ont envahi les chaînes de télévision russe. La religion est devenue la seconde idéologie officielle. Elle contrôle les cerveaux de tous. C’est une force trouble, dogmatique, qui répand l’obscurantisme. Les Russes aiment avoir un leader à suivre, plutôt que de réfléchir par eux-mêmes. L’Eglise est pourtant séparée de l’Etat. Mais la religion orthodoxe intervient à tous les niveaux de la société : l’armée, les institutions, la culture et surtout l’éducation. Elle décrète ce qui est bon et ce qui est mauvais. Elle suit l’idéologie officielle.
Notre protagoniste découvre que le fanatisme lui donne du pouvoir. Personne n’osera s’opposer à lui, si ce n’est une enseignante, qui est athée.
L’action se déroule dans une ville inconnue…
Il s’agit de Kaliningrad. Avant la deuxième guerre mondiale, elle s’appelait Königsberg, c’était une ville allemande. C’est là qu’Emmanuel Kant est né et qu’il est enterré. C’est aujourd’hui une enclave russe en Europe, entre la Pologne et la Lituanie. Une ville étrange qui porte les traces de son passé, comme une sorte de palimpseste.
Comment avez-vous choisi vos comédiens ?
Tous les adultes sont des stars en Russie. Les deux adolescents avaient déjà une expérience théâtrale. Celui qui joue l’ami de Veniamin tenait auparavant ce rôle dans ma troupe, au théâtre.
Dans votre mise en scène, vous privilégiez les longs plans-séquences.
C’est parce que je suis paresseux ! J’ai la flemme de faire des champ-contrechamps. Je préfère répéter une scène durant trois jours, comme ça, quand on la tourne, en trois, quatre prises, c’est bon…
Parlez-nous de la pièce originale de Marius von Mayenburg.
Il m’a raconté avoir écrit cette pièce parce qu’en lisant la Bible, il y a découvert des phrases très étranges, très violentes, qui avaient un double sens inattendu. Des phrases qu’on pouvait utiliser dans un autre contexte, qui pouvaient décrire le contraire de l’amour et de la fraternité. Il a donc décidé de lister ces phrases ambigües et c’est ainsi qu’est née la pièce : avec l’idée qu’on avait la capacité de retourner aisément le sens des Ecritures.
Des phrases dont vous nous donnez toujours l’origine…
Dans la pièce, comme dans le film, la source des textes est indiquée. Il faut que le public sache que ce sont des phrases authentiques. Elles ne sortent pas de mon imagination. Je les ai toutes conservées. J’ai en revanche changé plusieurs choses pour l’adaptation cinématographique. Par exemple, dans la pièce, c’est un homme qui dirige l’école. En Russie, ce sont généralement des femmes. J’ai aussi inventé plus de professeurs qu’il n’y en avait dans la pièce. Le prêtre catholique est devenu orthodoxe et j’ai renforcé son rôle. Les textes qu’il cite viennent de livres orthodoxes obscurs, mais réels. Et j’ai ajouté la musique. Celle qui ouvre ce que je considère comme le troisième temps du film est composée par un groupe, Laibach, qu’on trouve aisément sur Shazam, mais qu’il est interdit de diffuser sur les ondes en Russie, car c’est une musique qui est considérée comme étant agressive et pouvant provoquer de mauvaises pensées…