Manuel
Poirier
Comment est né "Les femmes ou les enfants d'abord" ?
J'ai réalisé un documentaire sur les enfants placés en foyer. Il y a eu entre nous beaucoup de complicité et en les regardant, en discutant avec eux, je me disais qu 'au fond, tous ces enfants éloignés de leurs familles étaient aussi les enfants de tout le monde. Ce sont les enfants de la société dans laquelle on vit. Et puis, je me suis dit aussi : et si ça m'arrivait à moi ?… Et si un de ces enfants était le mien ?… Mais à ce moment là je ne pensais pas à un scénario, j'étais dans une réflexion personnelle liée aux enfants et à des émotions très fortes.
Comment avez-vous fait le lien entre cette réflexion et "Les femmes ou les enfants d'abord" ?
C'est venu ensuite. Cette réflexion s'est imposée dans l'écriture quand j'ai eu envie de raconter ce qui pouvait se passer dans la tête d'un homme qui est au milieu de sa vie, comme moi, et qui vit en couple avec des enfants. Quel est son rapport aux femmes ? Aux enfants ? Quelles sont ses envies, sa vie ? Où en est sa liberté ? Est-ce que ça passe par une crise ? Je voulais m'embarquer dans ce questionnement, mais en conservant de l'humour. J'avais envie et besoin d'aller vers un peu de légèreté. Réussir à dire des choses senties profondément sans jamais m'enfermer dans une gravité de discours. J'imaginais un homme qui regarde les femmes, avec peut-être l'envie d'aller voir ailleurs, peut-être un début de crise… et puis boum, un enfant lui tombe dessus…
Comment s'est déroulée l'écriture du scénario ?
J'imaginais aussi cette histoire en Bretagne que j'affectionne particulièrement. J'ai besoin, assez vite, de situer le scénario et les personnages dans une région. Au début de l'écriture, j'ai des idées de séquences, de personnages, des notes, des choses assez morcelées qui ne vont pas forcément dans une direction précise. Et puis, il y a un temps de maturation et quand je crois tenir l'intention du film, j'écris une sorte de résumé, j'essaye de trouver la trame en m'attachant aux personnages. J'avance de façon chaotique. Parfois j'écris quelques phrases, parfois j'écris directement une séquence avec les dialogues. Je rentre dans la peau de chaque personnage.
C'est un vrai plaisir d'imaginer un comédien dans un rôle mais pendant l'écriture j'évite d'y penser (même si j'ai déjà choisi des comédiens) afin de ne pas griller les étapes et surtout, de rester bien concentré sur chaque personnage sans faire de modifications en fonction de ce que je connais d'un comédien. Sinon, j'ai la crainte de devenir complaisant et d'écrire des séquences simplement parce que, je pense, le comédien sera super alors que ces séquences sont inutiles ou à coté de la vraie nature du personnage. J'ai l'impression que, de cette manière, la rencontre entre le comédien et le personnage sera encore plus forte, plus vraie.
Ce scénario, je l'ai écrit en quatre mois. Il y avait dans l'idée de départ, ce que la notion de famille implique dans le rapport d'amour ou d'affection, du couple. Comment le couple fonctionne avec les enfants, et qu'est-ce qui pourrait mettre cette famille en danger. Il y a aussi le rapport aux autres et aux voisins. Je tenais à mélanger l'individuel et le collectif parce que nos vies ne sont pas déconnectées les unes des autres.
Chaque famille est composée différemment, cela me permettait de regarder comment chacun se débrouille dans sa propre configuration. L'idée aussi qu'un des voisins soit gendarme me plaisait, pour ajouter une différence supplémentaire.
Comment avez-vous trouvé le titre ?
Il est venu au début de l'écriture. Souvent j'ai besoin d'un titre, assez vite, qui agit comme une déclaration d'intention et qui m'encourage à écrire. C'était déjà comme ça pour le mot "Western" il m'inspirait. "Les femmes… ou les enfants d'abord", c'est aussi une façon de résumer la problématique du film, dans sa légèreté et son humour, comme dans sa profondeur.
Comment travaillez-vous avec vos comédiens ?
Pour moi, la première base, la plus importante, c'est le casting. D'ailleurs, tout ce qui vient avant le tournage est essentiel, chaque choix, parce que je pose les fondations dont le tournage sera la conséquence. Tous les choix avant tournage, y compris l'équipe technique, participent à la mise en scène et déterminent ma façon de travailler. Le casting, ce qui ressort de la personnalité d'un acteur, son désir d'être dans la famille du film, ce qu'il incarne au delà de son talent, tout cela crée une ambiance qui va imprégner le film. Le plan de travail aussi, c'est déjà de la mise en scène, il est pour moi très important dans mon rapport aux comédiens et à l'histoire.
Je tourne le plus possible dans l'ordre chronologique. Cela permet à tout le monde de s'ajuster par rapport à ce qui se passe et à ce qui s'est réellement passé. J'aime l'idée que l'on soit tous ensemble dans l'histoire. On fait comme dans la vie, on quitte un décor et puis on le retrouve. Je travaille beaucoup sur la spontanéité. Parfois, je fais des petites inversions chronologiques pour faire des paliers aux comédiens. Par exemple, après une longue séquence difficile, je peux mettre une séquence légère pleine de vie, pour que tout le monde se libère un peu de la pression.
Comment avez-vous choisi les enfants ?
Mon premier souhait était, autant que possible, qu'ils soient bretons parce que c'est dans leur région que l'on tourne, qu'ils soient proches de chez eux et de leur famille, pour leur bien-être et pour leur éviter des aller-retours trop longs. On a donc contacté des familles sur place en passant des petites annonces et en établissant des contacts. J'ai rencontré un maximum d'enfants et un premier tri très large a été fait. A part Nina, que je n'ai pas trouvée sur place et qui est de Paris, j'ai choisi tous les enfants du film en Bretagne.
Dans le scénario, Tom et sa femme ont trois garçons de trois, cinq et sept ans. Pour les deux plus jeunes, je pensais que l'idéal était de choisir un enfant de cinq ans avec un petit frère de la même famille afin qu'ils soient en confiance tous les deux. Ce que j'ai fait. Mais, au bout de deux rencontres, j'ai réalisé très vite que c'était une erreur. D'une part parce qu'il y avait entre eux un peu de jalousie tout à fait naturelle et puis l'enfant de cinq ans faisait souvent de la régression en se mettant au niveau de son petit frère de trois ans. J'ai gardé l'enfant de cinq ans que j'avais choisi mais j'ai changé d'approche en cherchant dans la même famille un enfant de sept ans avec un petit frère de trois ans. Du coup il n'y avait plus de concurrence, je sentais que les enfants pouvaient se sentir bien entre eux et le tout petit plus en confiance avec la présence de son grand frère. Et ça a très bien fonctionné.
Sur le tournage, pour le travail au quotidien avec eux, il a fallu s'adapter. Je savais que les enfants pouvaient se concentrer mais je ne savais jamais pendant combien de temps. Donc, je voulais les faire venir sur le plateau seulement lorsque tout était prêt. Tourner tout de suite avec eux sans perdre un instant de leur énergie, de leur spontanéité, de leur concentration ou de leur bonne humeur. Que l'on soit tous ensemble très concentrés sans aucune déperdition d'attention. Mes rapports avec les enfants étaient un rapport de confiance mais aussi avec un petit peu d'autorité. Qu'ils comprennent que l'on faisait un travail ludique, mais avec des règles. J'essayais de leur expliquer au mieux, mais pour moi la priorité c'était d'être bien ensemble et de préserver l'envie que l'on avait de se retrouver pour chaque nouvelle journée de tournage.
Comment se sont constituées les familles ?
Les choix sont surtout instinctifs. Mais avant le tournage, je voulais commencer à tisser des liens entre tout le monde, qu'il y ait des rencontres entre tous les comédiens et les enfants qui joueraient ensemble pour que les familles existent avec une complicité. Pour la famille de Tom, on a aussi organisé un goûter avec Sergi, Marilyne et les enfants dans la maison qui allait être leur maison dans le film. Sergi avait une vraie complicité avec les enfants, par contre, comme au début de l'histoire il ne sait pas qu'il a une fille, il n'a pas rencontré avant la petite Nina.
Tout a été mis en place pour qu'ils ne se voient pas avant que l'on tourne. Leur première rencontre est celle qui est dans le film. Ils se découvrent tous les deux réellement pour la première fois, avec regards, hésitations et émotions. J'ai gardé la même démarche aussi pour la séquence où Nina débarque avec Tom dans sa famille. Marilyne et les enfants rencontrent Nina pour la première fois. J'avais expliqué la situation et l'intention aux enfants.
Même si vous ne pensez pas aux comédiens en écrivant, on retrouve votre "bande" de comédiens dans ce film…
J'en avais très envie, c'était dans l'intention du film. Avec Sergi on était très heureux de se retrouver. Et tout le monde avait envie d'être là, Sacha, Marilyne, Vanier, Riaboukine, Commelin. Avec aussi une nouvelle venue, Sylvie Testud. J'ai très vite pensé à elle pour le personnage de Virginie et la rencontre a été très évidente. Sans oublier aussi tous les bretons. La composition de l'équipe technique aussi est très importante, pas seulement au niveau technique mais aussi pour la façon de travailler ensemble et pour l'ambiance du plateau où tout le monde se retrouve. C'est un moment de vie qui compte, car tout va dans le film, c'est ça aussi l'âme du film.
La nouveauté cette fois, c'est votre incursion en tant qu'acteur…
J'avais envie d'être dans le film de façon anecdotique, en patron de bar par exemple. Mais chaque jour je retardais l'occasion pour ne pas me disperser. Et puis la veille du bal, j'ai écrit un truc d'humeur que j'ai eu envie de dire et de jouer avec Sergi. Moi aussi j'avais envie d'être là pour la séquence du bal et c'était super de me retrouver avec Sergi et Sacha et tous les autres.
Vous avez eu des hésitations à reformer le couple de "Western" ?
Non, même si ce n'est pas évident de les retrouver ensemble après "Western" et qu'il y a sans doute un risque. Mais c'est un nouveau film, ils ne sont pas dans les mêmes rapports et je les imaginais bien chacun dans leur personnage. On s'entend super bien tous les trois et "Western" ne doit pas être un obstacle à nos retrouvailles, au contraire.
Vous semblez en harmonie avec ce film…
Oui...