Paddy
Breathnach
Pouvez-vous nous décrire la différence entre la communauté drag cubaine et les autres communautés drags que vous avez rencontrées ?
La communauté drag cubaine porte en elle une certaine émotion. C’est peut-être la particularité du pays qui lui donne ce type d’énergie. Il y a une réelle performance et une émotion brute qui se dégagent de ces artistes drag cubains. C’était tellement physique et intense que j’ai senti que c’était un formidable moyen d’explorer certaines émotions brûlantes.
Je me souviens avoir vu plusieurs shows qui se tenaient dans des arrière-cours. Les drag-queens étaient des gens ordinaires mais à partir du moment où le drap rouge était tendu et où le projecteur s’allumait, l’endroit se transformait en un théâtre. Tout était complètement transfiguré : l’arrière-cour et les drag-queens.
Dans le film, la ville de La Havane joue un rôle aussi important que celui de Jesus ou de son père. Comment avez-vous décidé cela ?
Lorsque nous sommes allés à La Havane, nous avons remarqué que la ville était séparée en deux. D’un côté la partie où les touristes sont conduits : c’est beau, rénové et il y a beaucoup de musique. Mais si vous allez un kilomètre plus loin, dans n’importe quelle direction, vous traversez une ville très différente, beaucoup plus authentique. Dès l’écriture du scénario, nous voulions nous assurer de cette vision réelle, quotidienne et pas de la vision « arrangée » de la ville.
Nous avions vingt-deux jours de tournage et un petit budget, donc je savais que nous ne pourrions pas nous permettre d’engager de très nombreux figurants pour recréer le dynamisme de la ville. Alors nous avons décidé, comme disent les Cubains, « d’y aller sans entraves », ce qui veut dire que, quand vous voyez des figurants dans le film, ce sont des passants, et pas des acteurs payés. Nous n’avons pas essayé d’empêcher les gens de marcher ou de traverser la rue. Les passagers des bus sont de vrais passagers qui ne savaient pas que nous allions filmer.
Le film montre la prostitution comme la dernière chance de survie, par opposition à un choix délibéré. Cela a-t-il été un élément important du scénario ?
C’était une nécessité. C’est une réalité à Cuba. Beaucoup de gens sont contraints de faire des choses qu’ils ne feraient pas en temps normal. Des gens, qui d’ordinaire ne se tourneraient pas vers la prostitution, y sont conduits parce que la vie est dure, qu’il est très difficile de subvenir à ses besoins et que c’est parfois la seule solution.
Racontez-nous le tournage en espagnol.
J’étais nerveux avant le tournage. Je connaissais très bien le scénario et ses nuances, mais l’espagnol n’est pas une langue dans laquelle je suis à l’aise. J’ai compris assez vite que si vous avez quelque chose à dire et que vous en avez une idée claire, vous pouvez surmonter les barrières de la langue. En vous expliquant avec votre détermination et votre personnalité, les acteurs comprennent vos intentions et ce que vous voulez faire.
Les chansons des drag-queens ne sont pas sous-titrées. Pourquoi ?
Si vous vous concentrez sur la lecture des paroles des chansons, vous perdez de la force de l’interprétation, de ce qui est donné sur la scène. Si vous lisez, vous réfléchissez, au lieu de regarder et de ressentir. Quand j’ai vu ces drag-queens pour la première fois, je ne comprenais pas ce qu’elles disaient mais je pouvais le sentir. Je voulais que le public ait les mêmes émotions que moi.
Avec quoi le public s’identifie-t-il le plus dans « Viva » ?
Beaucoup se reconnaissent dans le thème du changement. Changer peut aider à guérir. Il y a également l’idée d’avoir sa propre identité reconnue et acceptée mais aussi de pouvoir trouver sa place dans une « tribu », dans un groupe à part. Et il s’agit enfin de relations père-fils, un thème universel.