Emma
Thompson, Mindy Kaling
Comment s’est déroulée votre collaboration sur ce film ?
Emma Thompson : D’abord, j’ai adoré ce scénario. Je l’ai trouvé drôle, bien construit, authentique, spirituel, chaleureux et bienveillant. J’étais enchantée à l’idée de le tourner. Ensuite, je me suis dit : « Reste à savoir comment on va s’entendre ». Et bien cela s’est merveilleusement bien passé durant le tournage. Mindy a toujours été une alliée sur le plateau. Quelqu’un à qui je pouvais faire entièrement confiance pour me dire si quelque chose fonctionnait ou non, sans me baratiner. Elle a été une vraie partenaire.
Mindy Kaling : Pour moi c’était un cadeau de travailler chaque jour avec Emma, car je me suis rendue compte à quel point j’avais des choses à apprendre d’elle. Elle est la plus grande aujourd’hui, et je le dis haut et fort, même si elle déteste que je dise ça (rires). Donc j’ai eu la joie immense que mon scénario devienne un film que je produis et dans lequel je joue. Et en plus, je jouais avec mon actrice préférée au monde et je pouvais apprendre d’elle. Tourner ce film et jouer face à quelqu’un qui comprend son personnage de manière si inhérente, c’est un cadeau fantastique pour moi, en tant qu’auteur.
Mindy, qu’avez-vous appris d’Emma en faisant ce film ?
Mindy Kaling : J’ai trouvé cela amusant de la voir interpréter cette femme, Katherine Newbury, qui dit ce qu’elle pense, qui est souvent peu aimable et impatiente, mais aussi extrêmement intelligente. En même temps, je voyais à quel point Emma était le contraire de cela. Passer de ce personnage qui dit à Reid Scott de se taire au moins vingt fois dans le film, puis hors caméra, la voir être celle qui connaît les noms de chaque membre de l’équipe et qui s’intéresse sincèrement à leur vie de famille, et qui devait chaque soir rentrer chez elle avec six à sept pages de monologue prévues pour le lendemain qu’elle connaissait à la perfection… C’était vraiment incroyable, ce genre d’endurance et d’enthousiasme. Comme je le dis souvent, elle a plein d’argent depuis « Harry Potter ». Elle n’a pas besoin de faire ça ! (rires). Elle m’a vraiment impressionnée.
Emma, « Late Night » vous ramène à vos racines de comédie ?
Emma Thompson : Complètement ! C’était merveilleux. J’ai commencé à écrire des sketches lorsque j’avais une vingtaine d’années et j’ai fait un peu de stand-up, qu’on entrevoit d’ailleurs dans le film. Les gens pensent que cette scène est bourrée d’effets spéciaux, mais pas du tout, c’est bien moi, plus jeune, face à un public, en
train de leur parler de maladies sexuellement transmissibles ! (Rires) Quand nous avons tourné cette scène où Katherine fait du stand-up sur une petite scène et fait un bide, j’ai beaucoup improvisé avec le public et j’ai utilisé mes vieilles techniques. C’était tellement amusant. Le stand-up a été l’une des choses les plus terrifiantes de ma vie. Mais quand cela fonctionnait, c’était juste incroyable, car la relation que vous entretenez avec le public, quand il n’y a que vous, le microphone et le public, c’est extraordinaire.
Voudriez-vous y retourner ? Ou avoir votre propre late-night show ?
Emma Thompson : Je ne pense pas que j’aimerais avoir mon émission. C’est trop flamboyant. Je pense que c’est mieux pour quelqu’un de plus jeune. Mais cela ne veut pas dire que je n’aurais pas envie de retourner sur scène faire du stand-up. Au contraire, cela serait amusant.
Qu’est-ce qui vous a inspiré, chacune, à devenir scénariste ?
Mindy Kaling : J’ai travaillé sur « The Office » pendant huit ans et sur ma propre émission, « The Mindy Project » pendant six ans. Mais la raison pour laquelle j’ai voulu écrire ce scénario (et j’espère que cela sera toujours le cas) c’était que j’avais vraiment besoin de l’écrire. J’avais toutes ces idées en tête et tous ces personnages qui n’attendaient qu’à exister. C’est tellement facile d’écrire, lorsqu’on en ressent réellement le besoin…
Emma Thompson : Nous sommes vraiment similaires, car je me suis longtemps écrit des sketches parce que j’en éprouvais un réel besoin. Et c’est grâce à cette expérience que j’ai été sollicitée ensuite pour écrire un scénario. Il faut encourager les jeunes et particulièrement les femmes, à écrire, même si ce sont de petites choses. Il faut prendre un stylo et écrire. C’est très important.
Ce scénario est inspiré de votre expérience au sein des auteurs, tous mâles, de « The Office », Mindy ?
Mindy Kaling : Je suis toujours prudente à ce sujet, car j’ai rencontré mes meilleurs amis sur « The Office », et je détesterais qu’ils regardent ce film et me disent : « C’est comme ça que tu nous voyais ? » Être la seule femme et être issue d’une minorité, au sein de ce groupe d’hommes, je l’ai vécu. La peur que j’éprouvais chaque jour de ne pas être à la hauteur, je l’ai connue aussi. Mais, dans le film, les auteurs sont bien moins accueillants envers Molly que les scénaristes de « The Office ». C’est ce qui les rend drôles…
Bien qu’il se déroule dans un univers d’hommes blancs privilégiés, le film est équilibré et inspirant. C’était important pour vous ?
Mindy Kaling : Certains s’attendaient sans doute à ce qu’un film écrit par une Indienne la mettant en vedette avec une autre femme, soit anti-masculin. Mais je ne souhaitais pas que mes personnages féminins soient des victimes. Tous les personnages masculins existent et évoluent. J’aime les personnages masculins du film et j’aime ceux qui les jouent.
Dans le film, Katherine dit à Molly : « Ce n’est pas juste, mais ce n’est jamais juste pour les femmes. » Pensez-vous que cela soit vrai ?
Emma Thompson : (rires) Bien sûr, c’est toujours vrai ! La solidarité entre les femmes grandit, mais il faut comprendre que les opportunités pour les femmes sont très différentes de celles qu’ont les hommes. Les hommes ont une route déjà toute tracée sur laquelle beaucoup d’hommes sont déjà passés. La route est là, il y a des panneaux de signalisation : « Allez par là. Non, là vous faites ce qui ne va pas, alors prenez plutôt ce chemin. » Les femmes ont un chemin sinueux, avec des ravins et des rivières à traverser mais il n’y a aucun panneau de signalisation. Vous vous dites : « Ok, je vais aller dans cette direction » en espérant que quelqu’un vous dira : « En fait, ne passe pas par-là, car la falaise est dangereuse. Fais le tour par ici. ». Mais il n’y a personne, pas de panneaux, aucune autoroute. Il n’y a pas d’endroit où des femmes ont déjà marché pour rendre l’itinéraire reconnaissable. Alors bien sûr c’est plus difficile.
Mindy Kaling : Je suis étonnée qu’en parlant de ce film, qui est une comédie sur le monde du travail, on nous pose tant de questions politiques. Bien sûr, le film dit des choses, il a du sens. Mais, avant tout, on a voulu faire une comédie. Pourtant, le fait que les personnages principaux soient des femmes, que l’une d’elle appartienne à une minorité et que nous avons toutes les deux plus de 35 ans, cela devient un enjeu politique. Je ne connais que ma peau. Je ne sais pas ce que cela signifie d’être dans la peau d’une autre, mais je trouve incroyable que mon existence devienne un enjeu politique.
Emma Thompson : Effectivement, la nature de cette conversation serait complètement différente si Seth Rogen et Will Ferrell étaient assis ici, après avoir écrit une comédie sur deux hommes au travail. Nous n’aurions pas cette discussion, donc ça vous montre où nous en sommes.
Certains prétendent que les femmes n’ont pas le même sens de l’humour que les hommes. Vous cherchez à prouver le contraire ?
Mindy Kaling : J’ai grandi entourée de femmes drôles. Je ne crois absolument pas à ce type d’affirmation. Et je me demande qui peut dire ça.
Emma Thompson : Ce qui est amusant, c’est que si les femmes n’avaient pas d’humour, nous aurions disparu depuis longtemps ! L’humour a été notre arme la plus efficace ! (rires).