Franck
Gastambide et Malik
Bentalha
Que représente le film Taxi pour vous deux ? Dans quelles circonstances avez-vous vu Taxi pour la première fois ?
Franck Gastambide : Moi j’ai un souvenir très clair : c’est le Gaumont Carré Sénart à côté de Melun. On était entassés à six dans une Clio, pour aller voir Taxi. Ce qui était important pour nous et on s’en est rendu compte plus tard, c’est que c’était le premier film qui nous parlait vraiment. Le premier dont on écoutait la bande originale à la radio avant d’aller le voir. Le premier film dont on se disait : « C’est pas possible, ils l’ont fait pour nous ». Lorsqu’on arrive dans la salle, non seulement il y a tous nos potes qui sont là, mais il y a aussi les parents de nos potes. Mon premier souvenir de Taxi c’est ça : une salle pleine à craquer, avec toutes les générations rassemblées pour le voir et sans le savoir, nous étions en train d’assister à la naissance d’un mythe : le début de Taxi.
Malik Bentalha : Moi, c’était dans mon petit cinéma, dans le Gard, je devais avoir huit-neuf ans. Je me rappelle qu’un copain nous faisait rentrer dans le cinéma en ouvrant la porte par derrière. D’habitude, je rentrais tout seul, mais cette fois-là, on était quinze à rentrer donc je dois de l’argent aux producteurs de Taxi (Rires)… C’était très bizarre car j’étais persuadé que c’était un film américain. C’était la première fois que je voyais un film français avec des courses poursuites, des cascades, des dérapages et je me disais : « Non ce n’est pas possible, c’est doublé en français mais c’est des acteurs américains ». Samy Naceri, premier super héros arabe à qui je pouvais m’identifier. C’était monumental ! Je suis originaire du sud et c’était la première fois qu’on montrait Marseille, cette ville qui est à la fois un carrefour de toutes les cultures, de toutes les religions, de toutes les couleurs… Et le soleil… Tout était parfait. Je me rappelle qu’on allait souvent en famille faire les courses chez Auchan, et une fois il y avait une 406 exposée et je hurlais dans le magasin, je pleurais parce que je voulais que mon père achète la 406 de Taxi qui était exposée. Chaque fois qu’on passait devant un garage ou un concessionnaire Peugeot, je voulais acheter la voiture. Je faisais la misère à mes parents pour ça. Donc c’est une chose qui est ancrée en nous, comme la victoire de l’équipe de France l’été 98.Taxi, est sorti en avril 98, ça fait partie du patrimoine français. Nous deux, on est des enfants de la saga Taxi.
Il y a plein d’enfants de la saga Taxi, mais ils ne sont pas tous venus voir Luc en disant : « Monsieur est-ce qu’on peut faire le 5 » ?
Franck Gastambide : Malik triomphait avec ses spectacles sur scène, moi je sortais de mes deux succès en salle, les Kaïra et Pattaya sur lequel on s’est trouvé avec Malik. Donc comment nos humbles succès allaient-ils nous permettre d’accéder à un truc qui nous faisait rêver ? Qu’est-ce qui allait nous faire fantasmer ? Eh bien, ce qui nous faisait le plus rêver c’était Taxi, la saga avec laquelle on avait grandi. On avait ça en commun, comme tous les gens issus de province et de banlieue. C’est forcément un film qu’on a vu. Il n’y en a pas 40 des sagas, encore moins des sagas françaises qu’on a tous vues. On sait tous ce que c’est, on les a aimé, et on a tous des souvenirs personnels qui nous raccrochent à Taxi. Comment on l’a vu et avec qui, quand est-ce qu’on l’a revu et quand il est passé à la télé, quel est ton moment préféré… Et puis il y avait la musique qui accompagnait le film. C’était la première fois qu’on entendait une bande originale de hip-hop faite par les rappeurs du moment qu’on admirait. Tous ces gens issus de ces cultures un peu banlieue, hip-hop, province, se retrouvaient autour de ça. Je crois que nos premières discussions, avec Malik, c’était un peu des trucs jetés en l’air : « T’imagines si on faisait Taxi ? Toi tu serais le mec du sud et moi je ferais le flic ».
Malik Bentalha : Quand j’y pensais, je réfléchissais au binôme qui était cohérent, dans le sens où Franck a le physique d’un mec de la BAC et moi j’ai le physique d’un petit gars du sud, musclé plutôt beau gosse…(Rires) Donc il y avait quelque chose qui collait physiquement. Franck en flic et moi en neveu de Daniel, forcément ça marche. Après, qu’est-ce qu’on fait ? Dans les Taxi il y a des méchants. Des Allemands dans le premier, des Japonais, dans le deuxième, puis des Belges… Franck et moi on est fan d’une série qui s’appelle Gomorra et c’est vrai que la culture italienne est en train d’arriver en France dans les clips, dans la musique, alors on s’est dit : « T’imagines Taxi contre des voitures italiennes ? ».
Franck Gastambide : Au départ, toutes nos discussions, c’était de l’ordre du fantasme : « T’imagines si on faisait Taxi ? T’imagines, on a le taxi et on appuie sur les boutons et il y a tout qui sort et on est à Marseille ». On se chauffait mutuellement : « Ce serait quoi ? Et les méchants ce serait qui ? Et qu’est-ce qu’on apporterait de nouveau ? »
Malik Bentalha : Alors, avec Franck on en parlait et puis un jour on se dit : « Allez vas-y on le fait ». Franck tournait une grosse comédie d’action avec Omar et je lui dis : « Je me lance, j’envoie un message à Besson ». Parce que je le connaissais de vue par le biais de Jamel quand je faisais ses premières parties. J’envoie un message à Besson (et je dis la vérité), sur Instagram et il me répond. Je lui écris : « Avec Gastambide, on a l’idée de faire Taxi » et il me répond : « Ok, passe par mon assistante ». Je lui dis voilà l’idée… Je lui explique et il me dit « Je t’ai dit de passer par mon assistante »… Donc je passe par son assistante et le lendemain on se retrouve à la Cité du Cinéma devant Luc Besson et là je ne peux pas parler. Si Franck n’avait pas été là pour parler moi je restais comme ça …Tétanisé.
Franck Gastambide : Effectivement, la rencontre avec Luc, on ne l’oubliera jamais. Rencontrer Luc Besson, c’est le papa des Taxi mais c’est aussi « Le Cinquième Elément », « Le Grand Bleu », « Lucy », « Nikita »… C’est ses productions, « Banlieue 13 », « Le Transporteur », « Yamakasi »… Tous ces films qui nous ont touché parce qu’il parlait à la banlieue, aux minorités et on se retrouvait dedans. Et quand on le rencontre, c’est sur le tournage de « Valerian », ce qui le rend encore plus impressionnant. Il est une sorte de gourou sur un énorme plateau et nous on arrive très timidement pour lui demander si c’est fou d’envisager de peut-être faire un nouveau Taxi…Surtout qu’il est en train de tourner, donc t’as pas le temps de beaucoup parler, tu sais qu’il va falloir être bon. T’as Luc Besson en face de toi, il va falloir l’accrocher, qu’il te sente vif, motivé. T’as intérêt à choisir les bons mots.
Malik Bentalha : Honnêtement pour moi, rien déjà que de pouvoir dire : « J’ai vu Luc »…Tu sais, lors des soirées mondaines, pouvoir lâcher : « Ah oui, tu sais avec Luc » (Rires)… C’était déjà énorme. Même s’il nous avait dit « Taxi, oubliez », j’aurais traîné ce truc au moins trois mois.
Franck Gastambide : On ruminait ça depuis des semaines voire des mois, notre idée de duo, de compétences inversées, lui qui est marseillais, qui connait toute la ville par coeur et moi le flic qui a besoin de lui, cette espèce de duo que tout oppose avec des références comme The Rock, Kevin Heart… On avait une idée assez limpide. Mais c’est ultra présomptueux de dire à Luc Besson : « Et bien nous on va être les nouveaux héros de Taxi ».
Alors comment avez-vous attaqué la montagne ?
Franck Gastambide : On a d’abord fait un premier rendez-vous avec Dominique Farrugia. Donc on se retrouve dans le bureau de Dominique et on lui raconte. Là on se rend compte que ça mord tout de suite, à tel point que Dominique dit : « OK, on va descendre voir Luc ». Alors moi je dis à Malik : « Bah passe devant, toi, va voir Luc » ! Et là il faut raconter l’histoire de l’anniversaire (éclats de rire)…Aux gens qui se demandent comment louper son premier contact avec Luc Besson, moi je réponds : « demandez à Malik ! »
Malik Bentalha : On le rencontre le jour de son anniversaire, donc moi logiquement je le vois et je lui souhaite un bon anniversaire. Et là il me répond, c’est sa première phrase : « Je déteste qu’on me souhaite mon anniversaire ». Voilà. Silence. Et derrière, plus rien.
Franck Gastambide : À ce moment-là je sais que je suis tout seul, que Luc, il vient de tuer mon premier soldat ! Luc, il a une prestance qui fait que t’es naturellement impressionné par son charisme, sa carrure et en plus là il est dans son antre, sur son plateau avec 200 techniciens autour de lui.
Malik Bentalha : Pour moi c’est terminé, je pense à reprendre éventuellement « La soupe aux choux » mais pas Taxi. (Rires) Pour moi Taxi c’est cuit, erreur stratégique.
Et toi Franck, comment tu réagis à cela ?
Franck Gastambide : Je me désolidarise (éclats de rire)…
Malik Bentalha : Moi, après, j’essayais de me concentrer sur autre chose : « Oh elle est pas mal cette focale ». Je tentais de parler à des gens,
aux techniciens…
Franck Gastambide : Luc, il sait que ces deux petits mecs qui sont des fans de la franchise viennent lui parler. Donc il est déjà en train de nous tester. Parce que Luc a besoin de s’engager avec des gens motivés, sérieux. Quand il nous dit : « je déteste qu’on me souhaite mon anniversaire », c’est déjà un test. Donc tu fais attention aux questions que tu lui poses, tu restes un peu dans ton coin. Tu trouves tout super, il te pose une question ou deux un petit peu simples et puis il finit par dire : « Bon, vous attendez 5 minutes ? J’ai bientôt fini ma journée ». La journée se termine, il nous amène à l’extérieur du studio. « Alors c’est quoi l’idée ? » Il me laisse discuter 5 minutes et il dit : « Bon, vous avez un petit peu de temps ? » Là, il nous emmène dans son bureau à la Cité du Cinéma. En gros, il a fallu faire une plaidoirie pendant une petite heure pendant laquelle j’ai essayé de lui expliquer d’abord nos rapports avec Taxi, la sincérité avec laquelle on avait envie de mener le projet. Surtout, ce qu’on pouvait en faire. L’idée, c’était de mettre une sorte d’électrochoc à cette franchise, tout en la respectant, parce que nous-mêmes nous sommes de grands fans. Au bout d’une heure de discussion il a dit : « OK, pour moi c’est bon ». On a ensuite compris que cela voulait dire : « Envoyez-moi moi des choses et on en reparlera ». Luc, il y a plein de gens qui viennent lui proposer des choses. Je sais maintenant que sa réponse c’est toujours : « Envoie-moi trente pages ». Et c’est ce que j’ai fait.
Au bout de combien de temps ?
Franck Gastambide : Ça a pris environ deux mois. J’ai envoyé les trente pages, il m’a appelé et il m’a dit : « À partir de maintenant, t’en parle plus à personne et on commence à travailler. » Le coup d’envoi de Taxi 5 commence là. Dans la suite des rapports avec Luc il y a une anecdote qui est très révélatrice de la manière dont il a besoin d’être convaincu des gens avec qui il travaille. J’étais en train de tourner un film comme acteur. Luc m’appelle le 25 décembre et il me dit : « Ce serait bien que tu viennes tout de suite en Normandie pour écrire avec moi ». J’étais en famille donc je lui dis : « Là, c’est le 25 décembre. Mais si tu veux je peux être là demain matin. » Il répond : « OK viens à 6h demain matin en Normandie ». Alors j’ai mis mon réveil à 3h du matin, j’ai foncé en Normandie et je suis arrivé à 6h10. Je le vois sortir de sa maison et il me dit : « Et ben t’as laissé le frein à main ? » Parce que j’avais dix minutes de retard.
Là c’était une nouvelle étape ?
Franck Gastambide : Là, je me retrouve enfermé dans une pièce avec Luc et je le regarde en me disant : « Mec, t’es en train d’écrire avec Luc Besson ». Le fait de faire Taxi c’était un rêve absolu de gosse. Le fait d’écrire, d’échanger sur un scénario avec Luc Besson, c’était clairement du fantasme. Je vivais un moment complètement fou.
Il y a eu des conditions posées ? Il a défini le terrain de jeu ?
Franck Gastambide : Il a fait l’inverse, il m’a interdit d’être trop respectueux de la franchise. Il voulait que ça devienne notre Taxi à nous. On écrivait des vannes et puis il disait : « Je peux te dire quelque chose ? » Et puis il proposait ses idées, parfois elles étaient bonnes, parfois pas. Mais lorsque les idées ne sont pas bonnes, Luc s’en rend compte par lui-même.
Malik, à quel moment tu reviens dans la partie ?
Malik Bentalha : Moi ? Il y a quinze jours (Rires)… Moi, bizarrement, j’ai rencontré Luc Besson il y a très longtemps grâce à mon parrain dans ce métier : Jamel Debbouze. Ils sont très proches, ils ont fait « Angel A », ce film que j’ai adoré, donc on s’est tout de suite entendu. Il m’a fait comprendre que là maintenant il fallait bosser et que c’était une chance. Il m’a appelé le premier jour du tournage. Il m’a dit : « T’as une chance en or, ne la gâche pas » et lorsqu’il a vu le film je pense qu’il était assez content du résultat. Il a vu que derrière nos Air Max et nos vannes, il y avait aussi beaucoup de travail.
Lorsqu’on est d’une autre génération, qu’on est des fans de Taxi, comment on s’autorise à déboulonner le mythe ? Comment vous vous êtes autorisés à prendre le volant ?
Franck Gastambide : Notre première réflexion a été de nous dire : « Tu ne seras jamais Samy Naceri et je ne serai jamais Fréderic Diefenthal ». Il fallait qu’on y aille avec nos armes. Malik n’a pas le physique de Samy mais il est plus drôle. Comment fait-on pour apporter quelque chose de plus ? Ce quelque chose c’est l’ère du temps, c’est la modernité, c’est Malik qui est l’un des mecs le plus drôle de France, c’est ce que je peux apporter avec ma mise en scène un petit peu moderne, c’est cette espèce de binôme qu’on est dans la vie comme à l’écran. Si on a le culot de s’attaquer à Taxi, quelles sont nos armes pour nous y attaquer et surtout quels sont les combats qu’il ne faut pas mener ? Ne jamais se prendre pour eux. Eux, ils sont au Panthéon et nous il fallait qu’on y aille avec nos armes.
Vous avez gardé le bâton du maréchal qu’était Bernard Farcy. Pourquoi ?
Franck Gastambide : Les nouveaux héros ça va être nous, en revanche, on ne fait pas un Taxi sans le taxi blanc, sans Marseille et sans le commissaire Gibert. Pour nous, qui sommes des fans d’humour, de vanne, Bernard Farcy a toujours incarné l’humour de Taxi, le décalage, le burlesque. C’est un personnage que j’aurais adoré inventer dans mes films précédents. Une espèce de commissaire de police, fou, presque infantile tellement il est léger dans ses réflexions. C’est un personnage qu’on adorait, qui n’a jamais cessé d’évoluer dans les Taxi jusqu’à en devenir quasiment le rôle principal dans le dernier. Quand on est fan de Taxi, on a envie d’être dans le taxi et puis on a envie de voir le commissaire Gibert. Il était hors de question de faire Taxi sans lui.
Malik Bentalha : L’un des premiers trucs qui a été trouvé, c’est de le faire évoluer en maire de Marseille.
Franck Gastambide : On avait le choix de faire un reboot ; c’est-à-dire un autre film. On aurait pu faire un film où Malik se serait appelé Daniel et moi Emilien. Mais nous, on rêvait de jouer dans un Taxi qui soit dans la continuité des autres. À partir du moment où on se dit : « Taxi 5 c’est la suite du 4 », on se demande ce qu’ils sont devenus dix ans après et c’est la porte ouverte à tous les fantasmes. Se dire que le commissaire Gibert est devenu Maire de la ville, c’est amusant et en plus, dans l’absolu, ça aurait pu être possible. Ensuite il y a le personnage d’Alain joué par Edouard Montoute, qui est son fidèle dans les quatre Taxi et qui a décidé de le rejoindre à la tête de la police municipale. C’était drôle de réfléchir ensemble avec Luc sur ce que les personnages auraient pu devenir. Voilà pourquoi on a choisi de faire « Taxi 5, la relève » et pas un autre Taxi. Il fallait qu’il y ait Gibert. Et puis, autre énorme kiff, quand on est en train d’écrire et qu’on attend une visite du commissaire Gibert joué par Bernard Farcy la question se pose : « Comment a-t-il vieilli ? Est-ce que ça va encore l’amuser de faire ça ? Est-ce qu’il est toujours Gibert ? » Alors là on vit un grand moment, parce qu’arrive Bernard Farcy en grande forme qui s’est refait la petite moustache de Gibert pour venir nous voir, ce qui est déjà un aveu de motivation très forte. Je me rappelle qu’on a fait un rendez-vous dans une brasserie. Je raconte à Bernard Farcy que Gibert serait devenu maire de Marseille et là il démarre au quart de tour ! Soudain j’ai Gibert devant moi ! Ca fait partie des moments qui m’ont marqué. Rencontrer Luc Besson, moment important, le premier jour où on voit la voiture arriver sur le tournage, moment incroyable. Et voir Bernard Farcy faire Gibert, moment fantastique.
Beaucoup de gens pensent que la relève, c’est les taxis contre les chauffeurs VTC. Comment avez-vous eu l’idée d’en faire des amis et pas des ennemis ?
Franck Gastambide : Déjà quand on prend les VTC, on se rend compte qu’à priori ils ont tout pour être proche d’un personnage comme Malik mais surtout… En dix ans depuis le dernier Taxi, ce qui a changé dans le marché des taxis, c’est l’arrivée des VTC. Donc il faut qu’on compose avec eux. On n’avait pas envie d’être dans la guerre taxis/VTC… En revanche il y a un clin d’oeil très clair au premier Taxi où Daniel fait appel à tous ses potes livreurs de pizza en mobylette. L’évolution de notre société fait que les livreurs de pizza en mobylette d’hier pourraient être des chauffeurs VTC avec un petit veston et une cravate. Du coup c’est devenu assez évident que Malik serait un chauffeur VTC, qu’il aurait toute sa bande de potes et qu’à la manière du premier Taxi, sa bande permettrait d’aider les flics à arrêter nos braqueurs italiens. C’est l’école du Taxi 1, ça
Autre chose qui fait partie de l’ADN de Taxi, qu’on retrouve dans le vôtre, c’est le rôle des filles.
Malik Bentalha : On est parti de la drôlerie de la situation. C‘était forcément plus marrant de me mettre avec une fille beaucoup plus grande que moi, très belle, blonde aux yeux bleus et moi qui suis tout à fait maladroit à côté d’elle. Et puis Franck qui est un personnage un peu plus fort et masculin, il lui fallait quelqu’un qui lui tienne tête, en l’occurrence avec le personnage de Sabrina Ouazani c’est totalement le cas.
Franck Gastambide : Sabrina, c’est l’idée de Luc. Luc est très doué pour écrire des rôles de fille, moi, un petit peu moins. Si on sent cet esprit de relève avec ce personnage de chérie de Malik ou de Sabrina, c’est vraiment parce que Luc a injecté des trucs. Luc me faisait confiance sur tout ce qui était très générationnel, même les vannes, et moi je lui faisais confiance sur les choses dont je savais que j’étais moins bon. Et j’écris beaucoup moins bien que Luc des jolis rôles de fille. Alors la chérie de Malik est une sorte de nouvelle Petra avec cet accent étranger, elle est un peu autoritaire, très belle, très blonde et le personnage de Sabrina, je me disais que cela pouvait être chouette que Daniel ait un neveu et une nièce, et que ce soit une fille qui ait hérité des compétences de mécano. Elle vit dans un garage un peu comme lui vivait et elle est devenue une passionnée de mécanique parce qu’elle n’a grandi qu’avec des garçons. Tout ça la rend extrêmement sexy. J’aimais bien cette idée de cette fille qui n’est vraiment pas une femme objet, au contraire c’est une fille dont le flic a besoin. C’est la seule qui sait mettre les mains dans le moteur de ce fameux taxi parce que c’est son oncle qui lui a appris à s’en servir. C’est important qu’on ait des rôles de filles qui soient indispensables.
Comment avez-vous eu l’idée de cette scène dingue de Ramzy ?
Franck Gastambide : C’est avec Ramzy que j’ai commencé, du coup je suis ravi qu’il apparaisse dans tous mes films. La question sur Taxi c’était de savoir qu’est-ce qu’on pouvait faire avec lui qui soit vraiment percutant et drôle. Il y a un truc qu’il fait souvent et que les rebeus font parfois, c’est de dire qu’ils sont italiens.
Malik Bentalha : J’avais un passage dans mon spectacle où je jouais un mec dans une pizzeria qui s’appelait Rachid et qui se faisait appeler Zino, mais en vrai il s’appelait Toufik.
Franck Gastmanbide : Effectivement c’est un classique dans les vannes de parler des rebeus qui se font passer pour des italiens dans les restos italiens.
Malik Bentalha : On s’est dit la phrase : « Il faut que j’infiltre le milieu marseillais bla bla » et après on a fait : « Le seul italien que je connaisse c’est Rachid ». Et tout est parti de là. « Faut qu’on aille voir Rachid, l’Italien de Marseille ». Et Ramzy fait partie de ces acteurs à qui on prépare un petit terrain de jeu et qui après nous fait un grand match dedans.
Et il ne peut pas y avoir un film de Franck Gastambide sans un nain ?
Franck Gastambide : Sans un nain ou bien plusieurs ! (Rires)
Malik Bentalha : Ça, faudrait l’étudier un jour…Moi je ne peux pas les voir mais après…
Frank Gastambide : Il est nainophobe. (Rires)
Malik Bentalha : Enfin il n’y a que toi et le Père Fouras qui les font bosser (éclats de rire)…
Comment un nain arrive dans Taxi 5 ?
Malik Bentalha : J’étais persuadé que ça ne passerait pas auprès de Luc.
Franck Gastambide : Il nous a souvent dit : « Je vous préviens, je vais me positionner en gardien du temple. On ne fait pas “Pattaya”. » Je me rappelle d’une fois où on en était à la version 3 du scénario. C’est des mois de boulot, on est très avancé, il y a 100 pages bien dialoguées. Luc me demande de venir le voir, et il me dit : « Bon, j’ai relu la dernière version. Est-ce que tu veux faire un million d’entrées ? » Moi : « Ah ben non, je veux en faire plus ». « Alors on va enlever des trucs ». Et là on a commencé à enlever des trucs qui auraient été super pour Pattaya 2 mais pour Taxi 5, non. Sans que je me sente bridé, Luc m’a appris à être capable de faire de l’humour avec d’autres armes que les miennes. Mes armes parfois sont un peu trash, aussi parce que c’est le sujet de mes précédents films. Il m’a appris à utiliser d’autres armes pour provoquer autant de rire, avec un humour plus large, plus grand public. De manière à ce que Taxi soit une comédie moderne, avec de l’humour d’aujourd’hui. Mais aussi où on peut aller en famille, ce qui n’était clairement pas le cas sur mes précédents films. En revanche, il nous a laissé amener nos ingrédients, nos univers, amener nos niveaux de vannes. Quant au nain… Je pense qu’il a dû se dire : « Attention il ne faut pas que cela soit Taxi à Pattaya ». Sauf que l’idée qu’il y ait un nain dans la police municipale sur sa mini moto, c’était assez irrésistible, alors il a fini par me laisser y aller.
Malik Bentalha : Tu vends une blague à Franck il dira : « Non j’y crois pas, non… ». Mais après tu lui dis : « Et s’il y a un nain qui est assis derrière ? » (Rires) « Ah ouais là tout de suite je la vois la scène… »
Franck Gastambide : Ce qu’il faut comprendre par rapport au nain, c’est qu’il est notre pote dans la vie, c’est mon quotidien. Dans mon système d’écriture et de réflexion, lorsque je travaille sur un film et que j’ai la chance d’être entouré de quelque uns des mecs les plus drôles de France comme Malik, Ramzy ou Gad, quand t’as une idée de situation, de vanne, tu cherches dans la bouche de qui cela va être le plus drôle. Il y a des choses qui sont bien plus drôles dans la bouche de Malik, d’autres dans la mienne et d’autres qui le seront plus avec un nain dû à sa petite taille. Un nain qui est dans la police municipale sur sa mini moto, bah, je sais que c’est drôle ! Et Malik qui se déguise pour infiltrer une soirée, c’est lui qui sera le meilleur pour ça.
Et Monsieur Poulpe ?
Franck Gastambide : Parmi les nouveaux arrivants de ce Taxi 5, il y a effectivement Monsieur Poulpe qui est un mec que je suis depuis longtemps sur internet, que je côtoie depuis longtemps aussi, qui a une folie qui se rajoute à un physique particulier. Et c’était super pour ma police municipale d’avoir quelques-uns de mes fidèles. Alors je peux aussi citer Sissi Duparc qui est la femme fontaine dans les Kaïra, la chérie de Malik dans Pattaya. J’ai essayé de former cette police municipale un peu comme les gendarmes à Saint Tropez : avec la tradition française des flics rigolos dont on aime bien se moquer un petit peu. C’était super d’avoir le Poulpe là-dedans, avec ce physique et cette folie. Je serais incapable de faire les films que je fais si je n’étais pas entouré de gens qui n’avaient pas des idées et qui ne m’en donnaient pas. Poulpe est un auteur. J’aime travailler avec des auteurs, des acteurs qui sont auteurs, c’est fantastique ça ! On se met sur une scène, à l’écriture ou sur le terrain et là je dis : « Les gars il manque un truc, ça ne décolle pas assez à ce moment-là », et on cherche, Poulpe il a ce talent-là. Une des jolies découvertes de Taxi 5, c’est un Poulpe qui assume de faire un flic complètement débile et à côté de ses pompes et qui va vivre une très belle histoire d’amour.
Mettre en scène des voitures, ça ne se filme pas comme des acteurs. Comment réaliser Taxi 5 avec ce que ça implique de cascades et d’effets spéciaux ?
Franck Gastambide : Les scènes d’actions m’ont toujours attiré, c’est quelque chose qui me faisait envie et en même temps qui me terrorisait. Suis-je à la hauteur pour faire ça ? Surtout que depuis Taxi 4 il y a eu les « Fast and Furious ». Lorsque tu t’attaques à Taxi, tu sais que tu es sur une comédie d’action. Sur la partie comédie je savais que j’avais mon coéquipier et qu’on était prêts en terme d’humour. On allait servir un Taxi vraiment drôle. Ce qu’on ne savait pas faire c’était l’action, la cascade, la poursuite. Moi j’avais cette culture là puisque j’aime le cinéma américain, les courses de voitures et puis je suis un mec du 77, un mec de Melun, on aime les voitures vers chez nous. Ma réflexion était de me dire surtout : « Qu’est-ce que l’on va pouvoir apporter de nouveau par rapport aux précédents Taxi ? ». Les techniques ont évolué. Maintenant on peut faire des prises de vues qui n’étaient pas possibles il y a 10 ans. Je voulais rendre ce Taxi encore plus agressif et percutant, plus impressionnant. Quand on s’attaque à des courses-poursuites, on essaye de faire mieux, on rajoute sa patte, on s’entoure des meilleures équipes françaises. Il s’avère que les meilleures équipes pour filmer Taxi, les Ferrari et les courses-poursuites dans Marseille, ce sont les équipes d’EuropaCorp, qui se sont surentraînées sur les « Taken », les « Transporteur ». On profite du talent et de l’expertise de ces gens. Quand je leur dis que je voudrais que le Taxi saute des rampes d’escaliers dans Marseille, très vite on se met autour d’une table avec les équipes de Julienne. Donc j’ai affaire aux mecs qui ont fait les Taxi 1, 2, 3 et 4 qui savent exactement tout ce qui a été fait et pas fait et ce qu’on peut faire de nouveau. David Julienne, qui est le chorégraphe des cascades sur Taxi 5, était le stagiaire cascadeur sur Taxi 1. Il les a tous fait, il a tout vu. C’est des heures et des journées entières de débriefings, de discussions, comment on va pouvoir faire de ce Taxi un Taxi dont on aura remonté le niveau de cascade, d’adrénaline et ça se fait avec des gens dont c’est le métier. Ce que j’ai appris de nouveau sur un film comme Taxi c’est que d’habitude, je fais un film avec mes acteurs et on bosse nos vannes et on est ensemble. Mais là je passe des semaines entières avec mes cascadeurs à faire des courses-poursuites de folies dans Marseille avec des Lamborghini et des Ferrari. Ces voitures là nous font rêver. On les voit dans des clips de rap depuis qu’on est gamins. C’était cool de se dire que notre Taxi qu’on a vu aller plus vite qu’un TGV aille faire la course avec des voitures de ce niveau-là. Et peu importe l’angle avec lequel on filmait les Lamborghini, c’est toujours notre taxi qui avait le plus la classe parce qu’il porte avec lui un mythe à lui tout seul.
C’est un peu le Gaulois face aux Romains, non ?
Franck Gastambide : Oui. C’est ça Taxi.
On parlait tout à l’heure de l’autre caractéristique des Taxi : la musique. Dix ans plus tard, qu’est-ce qu’on met dans Taxi pour faire une B.O d’enfer ?
Franck Gastambide : Il n’y a pas de Taxi sans grosse B.O, la tradition est forte et on l’a perpétuée. Quand Taxi 1 était sorti, le rap était une musique un peu marginale. Aujourd’hui le rap est un phénomène national, c’est la nouvelle pop. On est super fiers de cette B.O parce qu’elle rassemble quelques-uns des meilleurs et des plus influents. La B.O est aussi importante que le film. La jeune génération de rappeurs de 20 ans est venue avec un engouement et un enthousiasme qui nous a tous touchés. Ils sont venus pour Taxi, parce que ça leur parle. Ils savent
que sur les précédentes B.O de Taxi tout le monde y est passé. Le 113 , Booba, Diams… Ces B.O ont toujours été très éclectiques. On pouvait retrouver Pharrell Williams, Roof, Booba mais il y avait aussi Eloquence Kayliah. Aujourd’hui dans la nouvelle B.O, il y en a pour tout le monde. Il y a à la fois des morceaux plus cool, plus détentes, il y a des morceaux de rap purs. Il y a des morceaux limite variété. Donc vraiment c’est une B.O où tout le monde se retrouvera.
Marseille a beaucoup changé en dix ans ?
Franck Gastambide : Taxi c’est Marseille et dix ans après il fallait qu’on revienne à Marseille. C’est une ville étonnante. J’ai l’impression que les Marseillais étaient contents de voir revenir le Taxi, dans un premier temps du moins, parce qu’on a quand même beaucoup bloqué la ville.
Malik Bentalha : Les gens au début ils nous accueillaient les bras ouverts : « On vous aime, putain Taxi revient, merci ! ». Au bout de trois semaines ils avaient envie qu’on parte, c’est un tel chantier de faire un Taxi ! Parce que quand on tourne un Taxi on bloque toutes les routes, les accès, et les Marseillais devenaient fous, les pauvres ! (Rires).On espère qu’ils seront fiers du résultat, car ils ont vraiment joué le jeu.
Franck Gastambide : On a paralysé la ville durant l’été, avec des Ferrari et des Lamborghini lancées à 200km/h. J’espère que les Marseillais seront contents de retrouver leur ville. On l’a filmée avec amour, on l’a adorée. Moi je suis parti là-bas en me disant que j’allais rentrer tous les weekends et puis je ne suis pas rentré une seule fois.
Malik Bentalha : Marseille c’est notre Miami en termes de lumière, d’ambiance, de couleur. C’est solaire. C’est une ville faite pour être filmée.
Comment s’est passée la projection pour Luc Besson ?
Franck Gastambide : Ça se rajoute à la liste des grands moments qu’on a vécus dans cette aventure qu’est Taxi. Luc a été très investi et on aurait été très déçus tous les deux si ça n’avait pas été le cas. Dans nos fantasmes on voulait travailler avec Luc Besson. Et moi j’avais conscience que j’allais apprendre tellement à son contact. Il a été présent autant que j’en avais besoin. C’est-à-dire toujours disponible si j’avais des doutes, des inquiétudes. Notamment pour ces histoires de cascades. Il a toujours été très paternel avec moi. Mais il n’est pas venu sur le tournage. Quand je lui ai demandé : « Luc, est ce que tu viendras un peu sur le tournage me voir, m’aider ? » Il m’a dit : « Non je ne viendrai pas, parce que si les équipes me voient elles vont penser que je te surveille et je veux qu’ils sachent que c’est toi le patron. » Et il a tenu parole. Il n’est pas venu, il est resté à ma disposition si j’avais besoin mais il m’a laissé les clés du Taxi. Il n’est ni venu sur le tournage ni pendant le montage. Il a attendu que je lui montre le film que j’avais fait. Il a vu un premier montage d’une heure cinquante. J’étais arrivé au point où j’avais besoin qu’il le regarde parce que je ne voyais plus ce qu’il fallait enlever. Là c’est l’angoisse. Il voit ça dans une salle à Los Angeles et moi je suis à Paris. Je suis terrorisé. Parce que qu’est-ce qu’il se passe si Luc Besson qui nous a complétement laissé faire trouve ça nul ? Ça aurait été terrible. Du coup, très clairement, ma vie s’arrête le temps de cette projection. Je suis en stand-by. J’attends Luc Besson qui nous a fait confiance il y a deux ans auparavant en nous disant : « Allez-y les gars, faites votre Taxi ». On veut qu’il l’aime et qu’il soit fier de nous. Ça sonne. Je réponds : « oui » avec une voix extrêmement fébrile. Et il me dit : « C’est très bien, bravo. Vraiment je me suis beaucoup marré. » J’ai ressenti une sorte d’immense relâchement. Comme tout le monde, je connais les légendes de Luc Besson qui reprend une caméra pour retourner des scènes quand il n’aime pas. Besson qui va au montage et qui remodifie des choses. Je n’ai pas été victime de cette légende. Je lui ai dit : « Bon et qu’est-ce que tu n’as pas aimé ? » Il me dit : « Rien, on va raccourcir des choses mais on ne coupe rien. » Je lui dis : « On ne coupe pas de scène, rien du tout ? ». Il me dit : « Non, c’est super ». J’appelle Malik : « J’ai eu Luc ».
Malik Bentalha : Moi je suis sur un autre tournage, je m’en fous, on me donne des indications, je ne calcule personne, j’attends juste le coup de téléphone.
Franck Gastambide : Évidemment comme à mon habitude, quand il décroche, moi, juste, je fais un gros soupir.
Malik Bentalha : Je suis à bout de force, je commence à lui dire : « Ouais on s’en fout, c’est pas grave on l’a fait. Fallait le faire, moi j’ai d’autres trucs qui vont sortir toute l’année, j’ai d’autres projets, frère, t’inquiète, je ne te laisserai pas… » (Rires).
Franck Gastambide : On se connait trop, j’ai pas pu tenir… C’était un grand moment quand tu entends Luc Besson te dire : « il est super ton Taxi ».
Malik Bentalha : Maintenant le vrai patron dans l’histoire, notre dieu, c’est le public. Et maintenant on va rentrer dans un autre stress. Est-ce que ça va plaire au public ? Moi, quand j’ai vu le film, je l’ai trouvé mieux que ce que j’avais lu. Moi j’ai fait le Taxi que je voulais faire et pour Franck c’est la même chose, on n’aura pas de frustration parce que c’est le film qu’on voulait faire.
Franck Gastambide : C’est un Taxi de fans de Taxi, ce n’est pas un Taxi d’opportunistes. C’est un Taxi des enfants de Taxi. On l’a fait avec toute notre sincérité, tout notre coeur. On l’a fait comme des gamins parce qu’on vivait un rêve de gosse. Et puis j’ai le sentiment qu’on dit aux fans de Taxi : « Nous aussi on est des fans de Taxi, nous aussi le “Eloquence Kayliah” on l’a saigné. T’inquiète pas, le “Tu me plais” on l’adore, t’inquiète pas, on adore aussi quand Samy passait à toute vitesse. On adore ci on adore ça. » Et c’est pour ça qu’on a voulu faire Taxi, parce qu’on est des fans de Taxi. Alors maintenant on lui a apporté ce qu’on savait faire et ce pourquoi les gens nous aiment un petit peu. Mais c’est un Taxi pour ceux qui aiment Taxi.
Entretien réalisé par Michèle Halberstadt