Yan England
par Yan England
Faire du cinéma
Quand j'avais sept ans, ma mère travaillait sur une émission pour enfants qui avait régulièrement besoin de gamins pour faire de la figuration. Jusque-là, moi je voulais être journaliste comme mon père. Lorsque je suis entré sur le plateau de tournage, que j’ai vu les caméras, le réalisateur, les comédiens, j’ai su que je voulais faire ce métier-là. Par la suite, j’ai décroché un rôle dans une émission. Mes parents m’ont dit « d’accord, mais si tes notes baissent à l'école, la télé c’est fini. » Là, j'avais neuf ans, je faisais déjà des compétitions de natation, de tennis, du football, des cours de piano et de saxophone... En fait, j'ai appris que plus je faisais de trucs, plus je pouvais en faire. Vers l'âge de dix ans j'ai fait une recherche pour l'école, sur Charlie Chaplin. Il est devenu mon idole. Il écrivait et il jouait dans des films qu'il réalisait. En plus il faisait la musique, Ca m’a fasciné. Je me suis dit : moi aussi je veux écrire. Réaliser. Jouer. Ce désir-là ne m'a plus jamais quitté. Dès lors, j'ai beaucoup joué, à la télévision, dans des émissions pour la jeunesse. J'ai fait des voix d'animation. J'ai été présentateur d'émissions. Bref, j'ai pris l'habitude de m'adresser à un public du même âge que moi. J'ai continué à faire du sport, j'ai fini mes études. Tout cela demandait beaucoup de discipline. Ce qui ne m'empêchait pas de rêver, une nuit par an devant la retransmission des Oscars. Cette soirée symbolisait tout ce dont je rêvais.
Vers 17 ans, je me suis dit que la première chose à faire, c'était de devenir parfaitement bilingue. Alors j’ai choisi une fac, qui était totalement en anglais et je suis allé vivre en résidence avec des anglais. Je suis devenu bilingue, mais j'avais un accent québécois. Je me suis dit: « Si je veux pouvoir jouer n’importe quel rôle, sans être cantonné à celui du Québécois de service, il faut que je perde cet accent ». Je suis parti vivre à Los Angeles. J'y suis resté cinq ans, en y suivant des cours de théâtre, et je gagnais ma vie en revenant régulièrement tourner au Québec. Je ne connaissais personne. J'étais vraiment en dessous du bas de l'échelle. Lentement, j'ai fait mon trou, j'ai couru les castings. Je suis parti à Montréal pour jouer, en anglais, au théâtre, le rôle de Roméo dans « Roméo et Juliette » de Shakespeare. Et là, ma mère m'a dit : « Mais pourquoi t’écris pas un court-métrage ? Pourquoi tu ne t’écris pas un rôle ? ».
Les courts-métrages
Alors je me lance dans ce qui est devenu mon premier court-métrage, intitulé « Moi ». Je me suis dit que je voulais essayer de le tourner professionnellement, comme si c’était un long-métrage. J'ai fait le tour de tous les gens que je connaissais, j'ai obtenu tout le matos gratuit, on l'a tourné en quatre jours. Une fois terminé, je me suis dit, c’est quoi le top ? Les Oscars. Pour soumettre un court-métrage aux Oscars, tu dois être sélectionné dans un festival affilié aux Oscars. Alors j’ai pris toute la liste et j’ai envoyé mon court à tous ces festivals. 110 festivals. 110 paquets Fedex à 100 euros le paquet...Tout l'argent qui me restait de mes tournages, je l'engloutit. Le court-métrage est sélectionné au Festival de Santa Barbara en Première mondiale. Il gagne le prix. Pour le soumettre aux Oscars, il leur faut une copie en 35mm, c’est 8 000 euros. Le film parvient jusqu'à la première sélection.
Ça me pousse à faire un deuxième court-métrage, « Henry », sur une histoire très personnelle, liée à mon grand-père. Même chose, je le soumets dans tous les festivals. Cette fois encore il est retenu dans la première sélection des Oscars, puis dans la deuxième et puis, miracle, le court-métrage est nominé. Je vis la folle semaine qui précède les Oscars. C'est finalement un américain qui gagne. Je vais à la fête qui suit la cérémonie, et là je vois celui qui a nourri mon imagination depuis l'enfance: Steven Spielberg. Alors je me plante pas loin de lui, et j'attends la fraction de seconde où il est seul. Je me lance : « Mr Spielberg ? », je lui dis à quel point je l’adore, il m'écoute, m'interroge poliment sur mon court, et me dit : « Great ! Now, go make movies ! ». Soudain, c'est comme s'il m'avait autorisé à franchir le pas.
S'effacer ou s'imposer
J'adore la jeunesse et j'ai le sentiment d'en être proche. J'ai été entraîneur de natation pour des groupes d'ado durant les vacances d'été. J'ai adoré leur montrer que leur performance ne dépend que d'eux, que seuls eux peuvent se fixer des limites. Je voyais aussi comment les enseignants avaient du mal à communiquer avec certains ados. Des parents ne comprennent pas pourquoi soudain leur ado de 16 ans pète un plomb, et ils n'arrivent pas à en savoir davantage. « 1:54 », mon premier film, est le portrait d'un garçon qui subit beaucoup de pressions, qui croit qu'en se faisant oublier, en s'effaçant, ca va calmer les choses, puis il se révolte et décide qu'il veut s'imposer. La course, c'est son tremplin, et sa planche de salut. J'ai toujours pensé qu'il me fallait Antoine Olivier Pilon pour le rôle. Lui, c’est une Formule 1. Il y a juste quelques ajustements à faire aux répétitions, et il s'ajuste à la perfection. Pour le rôle de son rival, il fallait un acteur très fort. Un sale mec avec une gueule d'ange, car c'est plus dur quand ton ennemi est l'idole de l'école. Lou-Pascal Tremblay le fait avec beaucoup de douceur, de finesse.
On a pu tourner dans une vraie école, pendant des jours de cours, avec les scènes de cafétéria par exemple où on filme les vrais 1200 étudiants de l'école. Et on a travaillé avec une vraie équipe de courses. Celle qu'on voit, les « Coriaces », c'est le logo et le nom de l’équipe d’athlétisme dont j’ai fait partie pendant plusieurs années comme coureur. Les acteurs se sont entrainés avec mon coach. Ils ont participé au championnat provincial. Ils courent avec de vrais coureurs autour d'eux. Il fallait qu'on sente monter la pression du temps.
Se perdre et se retrouver
La fin du film était évidemment fondamentale pour moi, et malgré la pression des financiers, il n'a jamais été question de l'adoucir. Tout le film se déroule dans le point de vue de Tim. Le spectateur vit étroitement ce que Tim vit. On est à la fois dans sa tête et à notre place. Un spectateur m'a dit: « Je n'ai pas d’enfant, mais j’ai eu l’impression d’être avec lui tout le temps ». J'ai énormément travaillé sur le son. Pour qu'on sente combien tout devient oppressant pour Tim, qu’on sente les moments où il se perd et où il se retrouve, avec parfois des moments où on coupe le son totalement, parce que là il rentre dans sa bulle. Et c'est aussi comme ça durant une course de 800m. Tu n'entends plus rien. Tu es seul avec toi même, ta performance, tes limites, ta peur.
Le mode d'emploi
Avec ce film, je ne voulais aucunement être moralisateur. Je montre simplement qu’il n’y a pas de mode d’emploi. Chacun doit trouver son chemin. Tu ne peux pas dire à quelqu’un « fais ça ». A chacun son histoire. C’est ça qui est difficile. En même temps je crois que c’est la responsabilité des adultes et des professeurs de ne jamais renoncer à tenter de comprendre, pour faire tomber le silence. Le père, la copine, le prof, il y a autour de Tim des gens qui s'intéressent à lui, qui l'aiment. Mais ils sont impuissants. Car cela ne peut venir que de l'intérieur de soi. Je n'ai pas fait un film sur l'intimidation des ados. J'ai fait un film sur ce que c'est d'être ado, et comment chacun peut trouver en soi le courage d'occuper la place qui lui revient. Et à la fin, le générique se déroule sans musique. Pour que chacun sorte du film à sa manière. Mettre de la musique, ce serait comme couper le cordon qui vous relie au film. Je voulais une fin sèche, silencieuse, sans musique, afin que le spectateur reste encore avec Tim, avec ce qui vient de se passer, et continue à s'interroger.