Notes de
production Adoration
“Adoration” est le douzième long métrage du réalisateur Atom Egoyan.
On y retrouve les thèmes qui tissent la plupart de ses films : les différences entre l'apparence et la réalité, la nature subjective de la vérité, une structure narrative fragmentée, des points de vue multiples, des personnages complexes, et les liens souterrains qui composent une famille. Atom Egoyan s'intéresse depuis toujours à la façon dont nous communiquons, et au rôle de la technologie dans cette communication. Dans “Adoration”, il se penche sur la nature de notre relation aux médias, à la technologie, et leurs effets sur la construction de notre identité, de notre intimité.
L'une des sources d'inspirations de “Adoration” est la lecture d'un article à propos d’un fait divers de 1986. On y parlait d'un Jordanien qui avait envoyé sa petite amie irlandaise enceinte en voyage sur un vol de la compagnie El Al, avec une bombe dans son bagage à main, dont elle ignorait l'existence jusqu'à ce que les services de sécurité la découvrent. “Cette histoire m'a frappé, parce que c'était l'un des premiers exemples de l'extrémisme qu'un acte terroriste peut engendrer. Cela montre aussi comment une personne peut abuser un
proche : non seulement sa fiancée, mais aussi son enfant à naître. J’ai pensé à cet enfant, et aux conséquences que pouvait avoir le fait de grandir en sachant ce que son père avait fait.”
Le film suit Simon, un lycéen qui utilise Internet pour se présenter comme étant victime de cette histoire. De ce mensonge va naître une communauté, composée de ses camarades de classe et de survivants, autour d’une tragédie qui n’a pas eu lieu. L'histoire oscille entre ce complot terroriste déjoué et ses répercussions sur la vie de trois personnages aujourd’hui à Toronto.
“A bien des égards, “Adoration” parle de la nécessité de trouver des objets et des lieux qui ont un vrai sens, un sens profond, par opposition au sens superficiel né des réponses que Simon reçoit sur Internet. Ce complot terroriste devient une partie de l'histoire de Simon, qui grandit dans une époque où l'on s'invente des pseudonymes et où l'on se crée d'autres identités à travers les “avatars” des jeux vidéo.” Le tournage principal du film au budget de 6 millions de dollars a commencé à Toronto en septembre 2007. Vingt ans plus tôt, Egoyan tournait “Speaking Parts”, un film qui parlait déjà des manières dont les gens pouvaient se connecter à l'époque, grâce à la technologie aux liaisons satellite. “Ce qui est intéressant et qui m'a toujours fasciné, c'est la façon dont on communique en tant qu'être humain et la manière dont la technologie nous donne l’occasion et les moyens de nous représenter. Dans les années 80, la société était nettement divisée entre ceux qui avaient accès à la création d'images, et ceux qui n'étaient que spectateurs. Ce qui s'est passé depuis vingt ans, c'est qu'aujourd'hui tout le monde peut fabriquer des images et nous pouvons tous transmettre nos pensées. Nous nous sommes habitués à cette idée de partager nos idées avec un public mondial, mais notre capacité à nous concentrer a diminué. C'est l'une des difficultés auxquelles Simon doit faire face. Soudain, son histoire personnelle explose sur Internet et il reçoit énormément de réactions. Les internautes finiront par passer à autre chose, mais lui devra encore faire face, mentalement et émotionnellement, aux questions qui ont été soulevées.”
Dès le départ, pour “Adoration”, Atom Egoyan souhaitait évoquer les forums de discussions sur Internet. A l'automne 2007, pendant le tournage principal, une application telle que l'iChat d'Apple ne permettait qu'à quatre personnes maximum d'avoir une vidéoconférence. Atom Egoyan préférait imaginer des conversations vidéo ouvertes, auxquelles pouvaient participer des dizaines de personnes du monde entier. “La technologie proposée dans le film est légèrement en avance sur son temps, mais je suis sûr que lorsque le film sortira, la technologie nous aura rattrapée”.
Pour mieux comprendre comment les adolescents abordent la communication sur Internet, Atom Egoyan a organisé au printemps 2007 et durant plusiers mois, des ateliers. Utilisant jusqu’à huit caméras, il a mis en place des discussions en demandant aux étudiants de regarder les caméras comme s'ils se regardaient les uns les autres, pour évaluer s'ils se sentaient à l'aise avec ce moyen d'expression. “J'ai été très surpris par le naturel de ces adolescents. Ils étaient extrêmement à l'aise avec le fait d'avoir, en quelque sorte, deux identités, ce qui est le sujet du film. Dans les scènes écrites, il y a une recherche de réalisme. Ces scènes ont un ton très différent de celui que prend une personne quand elle sait que son image est diffusée. Simon se retrouve pris entre ces deux mondes.”
Le casting
Le choix de l'acteur idéal pour interpréter Simon, le personnage central, était primordial.
“Trouver celui qui allait interpréter Simon n'a pas été simple et Devon Bostick est un cadeau du ciel parce que, comme son personnage, il se situe entre l’adolescence et l'âge adulte et c'est très émouvant à voir. Il est à la fois innocent et espiègle. Il cherche encore l'approbation dans le regard de l’autre, ce que je trouve vraiment touchant. Il avait trouvé d’emblée le ton à prendre, alors j'ai décidé de ne pas trop répéter avec lui, parce que ce qu'il ressentait était très proche de ce que je voulais qu’il exprime.”
Le rôle du professeur est interprété par Arsinée Khanjian. Son personnage, Sabine, connaît parfaitement l'histoire des autres personnages du film, tout en gardant pour elle sa propre histoire. Elle passe sans cesse de l'honnêteté au jeu, pour permettre aux vérités d'être dites. C’est ce personnage qui incarne les aléas de la tolérance et la façon dont on perçoit les autres. Cela fait plus de vingt ans qu’Atom Egoyan travaille avec elle.
“C'est une actrice extraordinaire. C'est un rôle peu habituel pour elle, mais je savais qu’elle saurait être malicieuse. Sabine est un personnage dont la vie a été énormément bouleversée. Elle porte au quotidien cet incroyable secret en elle, mais veille à se montrer aussi légère que possible parce qu'elle vit quelque chose de très douloureux.”.
Scott Speedman incarne Tom, le tuteur et l’oncle de Simon.
“Scott nous a vraiment surpris. Quand j'ai écris ce personnage, je l'imaginais plus vieux. Scott a lu le scénario à Los Angeles et a demandé à me rencontrer. Dès qu'il m'en a fait la lecture, j'ai été enthousiasmé par l'idée que Tom pouvait être très jeune quand il a commencé à s'occuper de Simon. Il aurait consacré ses 20 ans, et non plus ses 30 ans, à s'occuper de lui. Cela a modifié profondément le personnage, d’une façon passionnante. Scott a une véritable présence, très attachante, presque malgré lui, ce qui est intéressant vu les moments sombres qu'il traverse. Je suis ravi de l'avoir choisi.”
Kenneth Welsh a été engagé pour interpréter le rôle du patriarche. Tyrannique avec ses enfants, Morris, sur son lit de mort, confie son « histoire » familiale à son petit-fils.
“Comme Simon l'enregistre, Morris ne raconte pas forcément l'histoire telle qu'elle s'est passée. Ce qui l’intéresse, c’est plutôt l'héritage qu'il veut transmettre et auquel il veut que cet enfant croie. C'est une question essentielle dans le film parce que Simon, tout comme son oncle Tom, s’interroge sur la version des faits racontée par son grand-père.”
La mère de Simon, Rachel, incarnée par Rachel Blanchard, et son père Sami, que joue Noam Jenkins, sont principalement présents dans la partie imaginée et onirique du film. Rachel est violoniste et Sami est luthier. Rien que par leurs professions, on est dans le domaine de l'adoration. Ils existent quand Simon se remémore et imagine ses parents, et aussi quand leur fils se les représente dans les rôles du terroriste et de sa fiancée enceinte. Simon est en quête de la vérité sur leur relation.
“Il y a deux histoires en une. L'histoire de nos proches qui se rappellent de nous, et la manière dont ils s'en rappellent. D’un coté la vérité, de l’autre les réalités que certains créent dans leur propre intérêt.”
Les thèmes du film
« Adoration » traite de la façon dont les nouvelles technologies nous poussent à transformer nos identités. Le film est aussi l’histoire d’un passage à l'âge adulte.
Le film s’interroge sur la quête d'identité à une époque où les parcours personnels sont comprimés et digérés par une culture qui évolue en mode « avance rapide ».
Dans un monde où chacun a une opinion qui peut instantanément être diffusée, il est facile de comprendre l'envie d'embellissement et de fantaisie. C'est une ère d'avatars instantanés, d'icônes improbables. Pour comprendre la réalité, nous avons toujours eu recours à des mythologies pour nous expliquer l'univers. Les objets et les idées qu'avant nous considérions sacrés sont aujourd’hui re-formatés et ré-adorés d’une manière qui était totalement inimaginable il y a une génération.
Le film présente au spectateur différents objets d'adoration. Certains sont anciens. D'autres sont nouveaux et dangereux, car inédits. Chaque personnage du film va devoir ré-évaluer le sens des relations humaines qui sont au cœur de sa vie.
« Adoration » parle de perception, de tolérance, de terreur, de peur, d'adoration, de déférence, et de vérité. Le problème de la technologie, c'est qu'on ne peut pas en faire l'apologie, mais on ne peut pas non plus la diaboliser. Elle est là, elle nous entoure. Je trouve passionnant d'explorer ce besoin constant que nous éprouvons à tester les limites de technologies qui nous servent à évoluer et à grandir.
La technologie et l'image
« Adoration » renoue avec l'approche plus naturaliste des premiers films d’Atom Egoyan. Bien que le sujet global du film, le monde de la communication numérique sur Internet, soit associé à une texture visuelle sans importance, Atom Egoyan a choisi, par contraste, une palette de couleurs très riche, à plusieurs niveaux. Pour ce film obsédé par les nouvelles technologies, dans lequel Internet, les ordinateurs et la vidéo sont des ingrédients essentiels, il a choisi de tourner en 35mm.
“Je suis fasciné par la rapidité avec laquelle la technologie qui consiste à filmer avec un film négatif est devenue obsolète. Pour des raisons purement pratiques, le langage disparaît, tout simplement. La pellicule est un moyen d'expression absolument magnifique et j'étais vraiment convaincu de vouloir filmer sur de la pellicule. Le défi a été de trouver des monteurs négatif, des étalonneurs, des gens qui savent encore travailler avec de la pellicule.”
“Les scènes entre Sami et Rachel ont un côté onirique. Elles ont été tournées avec une très longue focale qui donne l'impression de flotter autour du couple, et qui rendent flous l'arrière-plan des pièces et des endroits où ils se trouvent. On comprend assez vite que ces scènes n'existent que dans l'esprit de Simon.
La manière dont ce couple est présenté, comme les autres objets sacrés montrés dans cette histoire (de la crèche à la décoration de Noël volée jusqu'à la volute découpée) accentue leur nature précieuse. En dehors des flashbacks, où les images sont légèrement filtrées pour suggérer une différence avec le présent, le style du film est largement dû aux contrastes, à la couleur, aux décors, aux costumes et à la lumière. »