Jones
Contrairement à ce que leur nom unique laisse supposer, Jones désigne un duo de réalisateurs, venant tous deux de Londres et arborant des paires de lunettes similaires.
"Everyone’s going to die" a reçu un bel accueil critique en Angleterre.
Jones travaille actuellement à l’écriture de son deuxième long métrage.
Comment avez-vous débuté ?
Nous nous sommes rencontrés dans une agence de publicité où nous travaillions tous les deux, l’un à l‘écriture de publicités et de documentaires, l’autre en tant que concepteur artistique. Nous avons rapidement fait équipe au sein de l’agence.
Au début, on tournait tout ce qui nous tombait sous la main. Avec le temps, on est devenu plus exigeants, on a essayé d’imposer nos idées. On a aussi réalisé plusieurs clips. C’est un domaine où l’on vous laisse souvent plus de liberté artistique et cela nous a permis d’expérimenter, de définir notre style. Au bout de quelques années, nous nous sommes décidés à démissionner de cette agence, qui nous connaissait trop bien. Nous étions installés dans une sorte de routine confortable. Il fallait quitter le nid, comme on part de chez ses parents…
Comment fonctionne Jones ?
On s’est toujours bien entendus, sans vraiment se poser de questions. Visiblement, on aime les mêmes choses. Et chacun a son domaine de compétences. Pour l’un, c’est l’écriture, pour l’autre, le montage, mais chacun commente et critique le travail de l’autre. Le reste, on le fait ensemble. Les choses se font très naturellement entre nous, sans qu’on ait besoin d’y réfléchir.
Qu’est-ce qui vous a décidé à passer au long métrage ?
Cela faisait longtemps qu’on voulait réaliser un film. Les clips sont une bonne école. Les budgets sont souvent très serrés, on a appris comment obtenir des choses élégantes à l’image, avec un minimum d’argent. On attendait seulement l’occasion de passer à l’acte.
Il y a deux ans, on nous a envoyé quinze jours en Irlande pour une publicité dans laquelle des fermiers locaux montraient comment ils fabriquaient du beurre irlandais. L’idée était qu’ils devaient se filmer eux-mêmes. Donc, après une journée passée à montrer à chacun le maniement de la caméra, on a eu beaucoup de temps libre. On a regardé des films américains indépendants tournés avec un tout petit budget. Et on s’est dit qu’il était temps de se décider à faire notre premier film. Dans la publicité, le danger est de ne jamais passer à l’acte. Ou bien, comme cela a été le cas pour de grands chefs opérateurs venus de la pub, d’avoir tellement pris l’habitude d’avoir des moyens conséquents qu’ils font des films techniquement bluffants, mais avec un scénario anémique. Nous on voulait y mettre du cœur, de l’esprit. Le principal défi, pour nous qui étions habitués à des formats courts, c’était d’inventer une histoire qui tienne la route durant 90 minutes.
On s’est mis à écrire en se posant des contraintes très simples, vu notre budget, qu’on prévoyait inexistant : deux personnages. Une action qui se déroule sur un ou deux jours, pour éviter les problèmes de continuité. Des décors naturels. Une seule ville. Une histoire d’amour platonique.
On voulait absolument éviter le côté « premier film anglais ». Souvent, pour se faire remarquer quand on réalise un premier film, on a tendance à raconter une histoire ancrée dans une réalité sociale dure. C’est particulièrement vrai en Angleterre. Nous on voulait faire un film qui ait du charme, qui nous fasse sourire, et surtout qui fasse sourire le spectateur.
Le titre n’indique pas forcément la comédie…
Oui, mais le visuel de l’affiche sous-entend qu’il ne s’agit pas non plus d’un drame…On a écrit une première version du scénario, qui a plu à ceux qui la lisaient, mais en fait, plus on écoutait leurs commentaires, plus on s’apercevait que le film manquait d’humour. C’est alors qu’on a vraiment travaillé sur les personnages. Ray, par exemple. C’est un personnage très typé « film de genre », mais on y a ajouté des caractéristiques qui le rendent inoffensif, jamais inquiétant, et plutôt charmant. En tout, on a passé plus d’une année à écrire.
Ensuite, est il a fallu se poser la question du budget dont nous aurions besoin. On s’est dit : « On va essayer de réunir 100 000€. Quoiqu’on pourrait le faire avec moins. » Donc, on s’est fixé 100 000€ de plafond, et 40 000€ de plancher. En juin 2012, notre productrice avait fait un budget, on avait trouvé nos décors, alors on s’est dit : « Il faut qu’on se fixe une date limite. En septembre, le temps est agréable, la lumière est belle. Donc on tournera en septembre, avec l’argent qu’on aura. » Finalement, on a eu 60 000€ pour fabriquer le film.
Comment les avez-vous trouvés ?
Nous sommes allés voir des gens que nous connaissions, famille, amis, connaissances. On leur a montré un business plan, et expliqué ce qu’on voulait faire. On a précisé qu’ils n’auraient rien à dire, et probablement rien à gagner, qu’il n’y aurait pas de paillettes, pas de soirée de gala, pas de tapis rouge, mais qu’ils allaient aider à la naissance d’un film, que c’était un investissement amusant, original et qu’on veillerait au minimum à les rembourser de leur investissement. On a réuni la somme grâce à un groupe d’une dizaine de personnes.
Comment avez-vous constitué votre équipe ?
Un film, ce n’est pas un assemblage de belles images. On était très conscients de ça. Donc, on n’a pas systématiquement recruté des gens avec lesquels on avait déjà collaboré. On a par exemple choisi un chef opérateur avec lequel on n’avait jamais travaillé. On lui a dit qu’on voulait que le film soit toujours intéressant à regarder, mais qu’il n’était pas envisageable de ne pas finir une journée, de dépasser, ni de sacrifier l’image par manque de temps. Bien sûr, on n’aurait jamais pu réaliser le film en tournant en 35 mm. Mais on a quand même investi dans la location d’une Alexa. On voulait que le film soit beau à regarder. Le spectateur paye le même prix, pour voir un James Bond ou pour voir un film d’inconnus comme le nôtre. Il mérite d’en avoir pour son argent. Notre budget, le spectateur s’en fout. Donc, pas question de réaliser un film moche…
Comment s’est déroulé le casting ?
Etant donné les personnages qu’on avait écrit, on a toujours pensé qu’il nous faudrait une actrice expérimentée. Pour l’acteur, on cherchait quelqu’un autour de la cinquantaine, mais à cet âge-là, les acteurs sont soit très célèbres et très chers, soit pas très bons. On pouvait aussi essayer de ressusciter un acteur un peu oublié, comme Mickey Rourke dans « The Wrestler ». Mais cela pouvait s’avérer difficile à gérer. D’où l’idée de trouver un inconnu, et de le faire débuter.
Nous avons une amie qui travaille dans la mode, pour une marque qui a été la première à faire des photos de Rob. Rob est artisan de profession. Plus précisément, il est poseur de moquettes. Il y a quelques temps, il a été abordé dans la rue par un dénicheur de talents, et depuis, il est le visage de plusieurs campagnes de produits de luxe.
On l’a rencontré, on l’a fait tourner dans un de nos clips, puis on lui a fait passer des essais. La caméra l’adore. Il est naturel, authentique. Et il est instinctivement économe d’effets, ce qui le rend toujours intéressant à regarder. A force de ne rien faire pour qu’on le remarque, on ne voit que lui. Cela collait très bien avec le personnage de Ray qui est taciturne, très en retenue. Dans la vie, Rob est un homme délicieux. On l’a engagé en juin.
En août, on cherchait encore notre actrice. On voulait qu’elle soit européenne. On a rencontré quelques actrices françaises. En même temps, une française égarée en Angleterre, c’était assez convenu… Puis un ami nous a parlé de Nora, on a regardé des photos, des extraits de films qu’elle avait tournés. On a convenu d’un rendez-vous par Skype. En deux minutes, elle nous avait conquis. Il était tôt, 9heures du matin à peine, et elle a eu une façon tellement naturelle et sexy d’allumer une cigarette… On a vite senti qu’elle avait de l’esprit, une présence forte et un accent anglais exquis…
A son arrivée en Angleterre, nous sommes allés la chercher à l’aéroport. Elle avait une guitare sous le bras, et un casque sur les oreilles, qu’elle a retiré en disant « Désolée, c’est la démo que mon groupe vient de m’envoyer. Vous voulez écouter ? » Elle nous a tendu le casque et là on s’est dit « Aïe ! La pop allemande, c’est pas notre truc… » Mais on a adoré ce qu’on a entendu, d’ailleurs, on a mis sa musique dans le film.
Nora est une actrice expérimentée, ce qui était rassurant, pour Rob qu’elle a beaucoup encouragé et pour nous aussi, car elle semblait apprécier ce qu’on faisait. On a répété durant une semaine avant le tournage, pour que les acteurs puissent nous poser toutes les questions auxquelles nous n’aurions pas le temps de répondre sur le plateau.
Combien de temps a duré le tournage ?
On a tourné le film en 20 jours, dont le saut dans l’eau qu’on a tourné de nuit, le dernier soir. On pensait que ce serait la scène la plus difficile, donc on l’avait gardé pour la fin, mais en réalité c’est le train qui a posé le plus de problèmes. C’était trop cher de bloquer tout un wagon, donc il a fallu composer avec les passagers, les tunnels, les soubresauts du train…
Le montage a été difficile ?
Il a surtout été très long, car il fallait qu’on retourne gagner notre vie, donc on passait notre temps à abandonner le montage, puis à y retourner. Au moins, on aura eu le temps d’y réfléchir…En tout, cela a pris environ six mois.
Il faut aussi parler de la musique du film…
C’était un élément essentiel, naturellement. Avant le tournage, on a donné à chaque membre de l’équipe un CD avec vingt-cinq titres, qui ne sont pas tous dans le film mais qui étaient représentatifs de l’esprit du film que nous avions en tête. Et la musique originale a été composée par quelqu’un dont on a réalisé plusieurs clips, Charlie Simpson.
Qu’attendez-vous des spectateurs qui regardent votre film ?
Nous espèrons qu’ils s’intéresseront à ces deux personnages, qu’ils leur emboiteront le pas avec plaisir et les suivront quoi qu’il leur arrive. Le film montre deux personnages loin de chez eux, qui traversent une sorte de crise, et chacun va servir de catalyseur à l’autre. Alors, est-ce qu’ils finiront leur vie ensemble ? On s’est arrêté avant de répondre à cette question, pour que le spectateur soit libre d’imaginer la suite comme il le sent. Ce n’est pas qu’on voulait éviter de clore cette histoire, mais à nos yeux, l’essentiel n’est pas le futur de Nora et de Ray, mais ce qui s’est passé entre eux durant le film…