Jayro
Bustamante
Après « Ixcanul » et « Tremblements », « La Llorona » boucle une trilogie ?
Absolument. J’ai voulu dénoncer les trois mots les plus discriminants qui soient, au Guatemala. Le premier mot, c’est « Indiens ». Au Guatemala, il désigne les indigènes maya, dont parle « Ixcanul ». le second mot c’est « Homosexuels », le sujet de « Tremblements ». Le troisième mot c’est celui « Communiste ». C’est ainsi qu’on vous désigne au Guatemala, si vous défendez les droits de l’homme. C’est notamment de cela dont parle la Llorona.
Quelle est la légende de la Llorona?
Il s’agit d’une femme abandonnée par un homme, qui devient folle, tue ses enfants en les noyant dans une rivière, et est désormais condamnée à pleurer pour le reste de sa vie. C’est une sorte de Médée. Dans le film, on a ôté cette dimension très machiste, et on fait de la Llorona une justicière.
Vous faites un cinéma politique ?
Bien sûr. Il y a une acceptation, une banalisation de la violence aujourd’hui. Au Guatemala, on nie tout ce qui s’est passé. En Europe après la deuxième guerre mondiale, on a parlé, pour tenter de soigner. Même en Afrique du Sud, il y a eu des explications, une tentative de réconciliation. Au Guatemala, on préfère penser que les militaires ont sauvé le pays. Des années de procès ont été jetées à la poubelle en une semaine par les pouvoirs de quelques grandes familles et de l’armée, qui sont remontés jusqu’à la cour suprême, laquelle a finalement décidé de dire : non, il n’y a pas eu de génocide ni de génocidaires. Et au Guatemala personne n’a réagi ! Donc, le film a pour ambition de parler à une population qui est totalement dans la négation, qui pense que parler du passé est une perte de temps, et qu’il faut aller de l’avant. Au Guatemala, la population a peur de Dieu, et des militaires.
Comment qualifiez-vous la forme que vous avez adopté pour ce film ?
C’est du réalisme magique, qui est très présent dans les pays d’Amérique latine… J’ai beaucoup réfléchi à la forme de ce film. Comment faire pour qu’il puisse aussi attirer un public plus jeune, qui aime avoir peur au cinéma ? La Llorona hante les coupables de notre film, elle est l’étoffe de leurs cauchemars. Elle rôde, glaçante, effrayante. Plutôt que d’expliquer la légende, j’ai préféré utiliser quelques symboles des films d’horreur: la robe blanche, fantomatique, dans la nuit, les pleurs inexpliqués, les plans longs, mystérieux, silencieux…
Vous donnez à nouveau un rôle important à l’actrice Maria Mercedes Coroy.
Elle est un trésor, une perle que j’ai rencontrée sur un marché, durant le casting sauvage que je faisais pour « Ixcanul ». Elle est devenue une femme très importante au Guatemala. Elle a été la première femme Maya à faire récemment la couverture du plus important magazine féminin du pays. Elle représente une voix très importante, une inspiration pour les jeunes maya. Plus de 60% de la population est indigène, mais à peine 40% d’entre eux osent se dire Mayas. Il faut que cela change !
Quel est selon vous le pire travers dont souffre le Guatemala aujourd’hui ?
C’est une société rétrograde qui a peur du changement. Les gens perdent leurs droits, mais la majorité répond : « C’est pas grave, au moins on est protégés ». Les femmes, les Indiens, les homosexuels, les défenseurs des droits de l’homme n’ont pas de droits ? C’est pas grave. Mieux vaut l’ordre que la liberté. C’est cela le mal qui ronge le pays…