Jaime
Rosales
Comment a surgi l’argument de Les heures du jour ?
En 1998, j’avais écrit un court métrage sur un homme qui assassinait un chauffeur de taxi dans un terrain vague et fuyait avec une prostituée dans sa voiture. L’idée était de créer du suspense autour de la tension que provoquait chez le spectateur le fait de savoir que la prostituée était dans un taxi avec un assassin. Ensuite, j’ai pensé : et que va-t-il se passer après ? Je me suis dit que derrière tout ça, il pourrait y avoir un long métrage. C’est à ce moment-là que me tomba sous la main un article sur les tueurs en série qui m’intéressa beaucoup. Ce n’était plus le suspense qui me motivait mais créer un portrait hyper réaliste qui laisse une porte ouverte à l’interprétation.
C’est ton premier film et tu es en plus co-producteur, quelles difficultés as-tu rencontré ?
Disons que cette double facette situe sur la ligne de feu des problèmes que rencontrent d’une part, les réalisateurs et d’autre part, les producteurs. En tant que réalisateur, j’ai rencontré des problèmes qui ont un rapport avec la création artistique ; en tant que producteur, la plus grande difficulté à laquelle j’ai eu affaire est de convaincre les personnes qui ont l’argent d’investir dans un projet si personnel et dont les résultats sont imprévisibles. C’est considérablement usant. Il est évident que tout a de bons côtés ; le bon côté c’est que je n’ai pas eu affaire aux problèmes susceptibles de surgir entre un réalisateur et un producteur. Problèmes liés à la confiance et au respect du travail.
Comment s’est déroulé le casting ?
Je n’aime pas la composition d’acteur. Ça ne m’intéresse pas qu’un acteur joue le rôle d’un personnage en dehors des caractéristiques qui lui sont propres. Ceci est valable pour le théâtre mais sonne terriblement faux pour le cinéma. Ce que je fais c’est chercher un acteur dont les caractéristiques se rapprochent de celles du personnage en question. Ensuite, lors de l’entretien du casting je suis très attentif aux réactions de l’acteur ou de l’actrice. S’il me plaît, si je vois quelque chose qui m’intéresse même si, à priori, ce n’est pas ce que j’avais pensé pour mon personnage, je ne vois aucun inconvénient à modifier mon personnage pour le rapprocher un peu de l’acteur.
Comment est le personnage d’Abel ?
Je ne sais pas. Je ne sais pas très bien comment sont mes personnages. Tandis que j’écris le scénario, je tâche d’écouter ce qu’ils me disent, d’assimiler ce qu’ils veulent et ce qu’ils font. J’essaie de me laisser aller avec eux. Ce qui se passe c’est que dans ce processus, les personnages ne me disent pas toujours tout, il y a des choses qu’ils gardent pour eux. C’est pour cela qu’il y des choses que j’ignore. Quand j’ai commencé les répétitions avec Alex Brendemülh, je lui ai dit qu’il y avait des choses d’Abel que je ne connaissais pas et que je ne pouvais pas tout lui dire. Ça ne l’a pas dérangé. C’est ce qui s’est passé avec les autres acteurs. Je crois qu’il faut écouter son intuition et son instinct. Analyser un peu, c’est bien mais outre mesure, ça anéantit l’instinct.
Les assassinats sont impressionants. Pourquoi d’après toi produisent-ils cet effet ?
Nous essayons de montrer les assassinats en gardant le ton du reste du film. Sans faire d’emphase sur la violence ou la mise en scène. Quand j’ai pensé à Abel, je n’ai pas pensé à un assassin adroit et impeccable. J’ai pensé : tuer quelqu’un, ce doit être très difficile. Tout d’abord, ce n’est pas quelque chose qu’on apprend à l’école ou qu’on pratique au quotidien, alors la technique ne doit pas être très élaborée. D’autre part, les personnes tiennent beaucoup à leur vie et je ne crois pas qu’elles meurent facilement. C’est ce que l’on voit dans les documentaires du monde animal ; même un lion a du mal à tuer un cerf. C’est comme ça que j’ai analysé les assassinats ; avec du naturel, comme j’imagine que les choses arrivent dans la réalité hors des codes auxquels le cinéma nous habitue.
Les localisations, le son, etc… sont naturels. Cherchais-tu de manière préméditée ce réalisme ou ceci est dû au budget réduit dont tu disposais ?
Un peu les deux. J’ai un petit penchant pour le réalisme. J’aime beaucoup le néoréalisme italien et l’esthétique documentaire en général. Si on veut maintenir une certaine liberté artistique, pour moi ça veut dire parler librement de ce que l’on veut en adoptant une forme personnelle différente de ce qui se vend, de ce qui intéresse ou amuse ; ça veut dire que l’on ne peut pas compter sur beaucoup de moyens. Le réalisme dans ce sens est une solution bon marché qui facilite les choses. Mise à part la petite difficulté d’enregistrer du son direct, tout est avantageux dans le réalisme.
Il n’y a pas de musique dans le film, ça fait partie du réalisme ?
Oui, mais ce n’est pas que ça. Au delà des exigences du réalisme, moi, je n’utilise pas de musique parce que je ne crois pas que la musique soit une partie intrinsèque du langage cinématographique. A moins qu’il n’y ait de la musique sur scène, comme dans un bar, par exemple, je crois que ça sonne faux. Je considère que c’est quelque chose de fréquemment utilisé, qui donne de bons résultats, mais qui reste impropre. J’ai l’impression que son utilisation est une carence de la mise en scène. C’est une ressource qui va souligner les émotions du spectateur. Et moi, je ne veux rien souligner du tout.
Il y a dans le film des questions sans réponse, est-ce prémédité ?
Pour moi, faire un film c’est établir un dialogue avec le spectateur. Un dialogue d’égal à égal. Pour qu’il y ait dialogue, il faut que les deux parties participent, si non c’est un monologue. Il ne s’agit ni d’impressionner le spectateur, ni de l’idiotiser. Pour moi, faire un film c’est offrir un chemin au spectateur, lui laisser une porte ouverte à l’interprétation pour qu’il la remplisse avec sa sensibilité. Ça ne veut pas dire tomber dans l’indéterminé, au contraire, c’est créer quelque chose d’extrêmement concret tout en laissant des portes ouvertes.
Quelles sont tes préférences artistiques ? Quel type de cinéma aimes-tu ? De quelle esthétique te sens-tu proche ?
Comme je te l’ai dit, j’admire profondément le néoréalisme italien. C’est une référence essentielle pour moi. D’un autre côté, tout ce qu’il y a autour de la Nouvelle Vague m’intéresse beaucoup, Godard notamment. Il se demande ce qu’est le cinéma tout en faisant du cinéma. Ça m’intéresse énormément. Il a ouvert un chemin de recherche sur ce que doit être le cinéma moderne. Tout comme pour la peinture abstraite et les tendances post-modernes, le cinéma doit s’interroger sur sa nature à l’intérieur même des films.
À quel type de public s’adresse ton film ?
En réalité, il ne s’adresse spécifiquement à personne. Il faut dire qu’il utilise un langage différent et qu’il requiert une participation très active du public. Ça n’a rien à voir avec un produit de distraction, d’usage et de consommation avec lequel le public ne recherche qu’une simple évasion de fin de semaine pour combler un après midi. Ce n’est pas le public de mon film. Mais je ne sais pas. Il est peut-être plus accessible que je ne l’imagine ou tout simplement plus mauvais que je ne le crois.
Quel est ton prochain projet ?
À Fresdeval, nous réalisons un documentaire sur un bâtiment emblématique de Madrid dans lequel vit une communauté très hétérogène. C’est Sara Paniagua qui s’occupe de la mise en scène et c’est son premier long métrage. Nous sommes tous passionnés car il y a des histoires prenantes. Personnellement, j’ai une idée pour mon prochain scénario mais il est encore trop tôt pour en parler.