Ivan
Ostrochovsky
Pourquoi avoir choisi d’aborder ce sujet tabou : la collaboration entre l’Eglise catholique et le parti communiste ?
Pour aborder le sujet du conflit moral que pose la collaboration avec le régime, j’ai choisi le contexte d’une école de théologie, parce que c’est un lieu où ce conflit prend une intensité extrême. L’essentiel de la société a collaboré avec le régime, c’est un peu facile de critiquer l’église catholique. Mais l’histoire de cette église est édifiante, car les prêtres ont apporté une vraie légitimité au régime avec leur appartenance à Pacem in Terris. A part cela, les prêtres étaient des citoyens comme les autres. Ils ont collaboré au régime, comme la plupart des citoyens.
Le film ne cherche pas à apporter des réponses, mais à pousser chacun à réfléchir, pas tant à ce que font les « méchants », mais à ce qu’on ferait soi-même. Il faut relativiser le mal, mais jamais le trivialiser. J’essaye de trouver des personnages qui, même s’ils font des choses répréhensibles, nous ressemblent par plein d’aspects. Il faut qu’on comprenne ce qui les pousse à succomber à la peur, la frustration, l’insatiabilité. Je veux que le public comprenne combien il est aisé de se retrouver du mauvais côté de l’histoire.
En dehors de l’organisation Pacem in Terris, qu’est-ce qui est vrai dans le film ?
Le co-scénariste Marek Lescak m’a raconté l’histoire de Vlado Zboron, qui étudiait dans une école théologique dans les années 80, de laquelle il a été renvoyé car il refudsait de collaborer. Il joue dans notre film. La grève de la faim des étudiants pour protester contre les prêtres qui collaboraient avec Pacem in Terris a bien eu lieu. Ce fut d’ailleurs incroyablement courageux de leur part. La mort d’un prêtre ordonné en secret est vraie aussi. Nous avons rencontré d’anciens étudiants, ainsi que des membres de Pacem in Terris. Il ne s’agissait pas de reconstituer des histoires vraies, mais d’en faire la base de notre récit.
Il y a un aspect « film de genre » dans le film, n‘est-ce pas ?
Absolument, et nous allons du thriller au film d’horreur, pour vous faire éprouver cette sensation que des forces incontrôlables prennent possession de vous. Nous avons voulu injecter une dose d’irrationnel dans les images, et intensifier la peur que les personnages ressentent.
Vous avez collaboré avec Rebecca Lenkiewicz, la co-scénariste de « Ida »…
Elle faisait partie d’un jury qui a donné un prix à mon film précédent, je lui ai raconté l’idée de ce projet et elle a eu envie d’y travailler. C’est passionnant quand quelqu’un d’un tout autre horizon intervient, car sa perspective est totalement différente. C’est un risque aussi, mais que j’ai adoré prendre. Je crois que Rebecca nous a aidé à rendre l’histoire que raconte le film plus compréhensible par tous, sans pour autant la rendre littérale.
Pourquoi avoir choisi le format 4.3, et l’image en noir et blanc ?
Quand je cherchais mes décors, j’ai vite compris que l’univers d’une école de théologie se compose essentiellement en noir et blanc. Les murs sont blancs, les soutanes sont noires.
D’autre part, j’ai une tendresse pour les vieux films tchèques en noir et blanc. « Eclairage intime » d’Ivan Passer, par exemple, est un de mes films de chevet. Enfin, j’avais le sentiment que le noir et blanc évoquerait mieux l’irrationnel, l’horreur, la peur.
Le 4.3 se justifie par le fait qu’on tournait dans des pièces avec de très hauts plafonds et ce format permet de mieux rendre justice aux lignes verticales.
Qu’est-ce qui était difficile dans le fait de tourner un film d’époque ?
En l’occurrence, c’était choisir de quelles informations le public avait besoin de disposer, pour comprendre le contexte. Donc on a choisi de se concentrer sur les émotions, plutôt que sur les faits. Si vous avez été émus par le film, vous pourrez toujours aller ensuite vous renseigner au sujet des faits…