Ben Hopkins
Qu'est-ce qui vous a conduit à devenir metteur en scène?
Quand j'étais petit, je rêvais d'écrire des livres. Et puis le cinéma est entré dans ma vie, à seize ans, grâce à un professeur qui avait négocié des tarifs réduits avec le cinéma de mon quartier. Moi qui ne connaissais que les films qui passaient à la télévision, j'ai vu coup sur coup, la même semaine, "Dolce vita" et "Nosferatu". J'ai compris que le cinéma pouvait être un art et j'ai changé de rêve…
J'ai fait mon premier court métrage à dix-neuf ans, puis j'en ai réalisé un par an, durant sept ans. J'ai suivi les cours d'une école de cinéma, ce qui vous ouvre les portes, car soudain il y a des professionnels qui voient vos court métrages. J'ai mis du temps à apprendre. Mes cinq premiers courts étaient complètement ratés. Je ne connaissais rien à l'image, rien au montage. J'ai appris, à force de faire, et de regarder les films des autres. Mais pour résumer, je dirais que c'est grâce ou à cause de Fellini que je fais du cinéma. De lui j'ai gardé cette attirance pour un cinéma qui présente une version déformée de la réalité, un univers original.
Comment est née l'idée de faire ce film?
J'avais fait un court métrage sur un type qui est au chômage. Il prétend être un magicien, mais tout le monde se moque de lui, jusqu'au jour où il s'énerve, et transforme tout les habitants de son quartier en oiseaux…De là est née l'idée du personnage principal. Au début, j'envisageais une comédie romantique, ensuite c'est devenu autre chose, puis autre chose…et finalement, c'est devenu ce film, qui est un conte, à la fois magique et réaliste. C'est une histoire un peu dans la lignée des comédies shakespeariennes, où dans chaque couple, chacun est avec la mauvaise personne, et c'est quelqu'un d'autre, d'extérieur à eux, un solitaire, souvent un peu fou, qui sert de catalyseur et redonne les cartes de telle sorte que les bons couples finissent enfin par se former.
Qui est Simon le Magicien?
C'est un personnage de légende. Moi, je le connaissais grâce à mon père, qui est un historien spécialisé dans la Rome ancienne et le début de la chrétienté. On fait allusion à lui dans un chapitre de la Bible, ainsi que dans l"Enfer" de Dante. Jadis, on punissait les païens en les attachant par les pieds, la tête en bas, et en faisant brûler la plante de leurs pieds. Effectivement, sur les vitraux de certaines églises du 13ème siècle, Simon le Magicien est représenté la tête en bas.
Ce personnage de Simon le magicien revient couramment dans les légendes populaires du début de la chrétienté. Pour les romains catholiques, Simon incarnait la magie païenne, et il leur fallait démontrer qu'elle était bien inférieure à la magie chrétienne. Plusieurs légendes vont dans ce sens. Par exemple, il y a l'histoire selon laquelle Simon et Pierre se sont livrés à une bataille de magie, devant l'empereur. Simon ressuscita un poisson fumé qui se remit à nager. Pierre ressuscita la fille de l'empereur, morte un an plus tôt. Ce type d'anecdote constituait la preuve formelle que le christianisme était la meilleure des religions.
Simon était ce qu'on appelait un samaritain, c'est à dire, un juif. Il voulait lui aussi obtenir le pouvoir de donner le Saint Esprit en imposant les mains. Il offrit de l'argent aux disciples pour qu'ils lui enseignent ce pouvoir, mais ils refusèrent.
Dans toutes les histoires de la chrétienté, Simon apparaît comme un magicien un peu minable. Un de ses tours favoris était de voler, et selon la légende, il en est mort. On raconte qu'un jour, alors qu'il volait vers le Ciel, la magie l'abandonna, son sort fut rompu et il s'écrasa au sol.
Comment a évolué le scénario du film?
Au départ, je voulais raconter l'histoire d'un magicien, que personne n'aime, et qui finit par maudire le village et le détruire. Puis, j'ai pensé que Dieu interviendrait et transformerait cette malédiction en bien, c'est à dire que soudain, tout irait mieux pour ces villageois. Ensuite, seulement, j'ai eu l'idée de faire de ce magicien un juif, puis j'ai ajouté l'histoire du train…J'ai mis deux ans à défaire et à refaire cette histoire dans ma tête, et puis, quand j'ai senti que j'étais au bout de mes idées, et que tout était en place, je l'ai écrit en quinze jours. Et j'ai passé ensuite à nouveau deux ans à y retravailler, pour essayer de l'améliorer, au fil des différentes versions.
Quels étaient les principaux écueils, à l'écriture?
La difficulté consistait à mêler authenticité et magie. L'authenticité peut gêner un récit, le limiter. D'un autre côté, pour que l'on éprouve de la sympathie pour les personnages, il faut un élément de réalité dans le monde qui les entoure. Mais, pour que l'histoire soit singulière, il faut que ce monde "normal" coexiste avec un univers plus magique et mystérieux. Il fallait aussi mélanger tous les fils de toutes les intrigues qui se déroulent, pour en faire un récit harmonieux, sans égarer le spectateur ni l'ennuyer.
Pourquoi avoir choisi la Silésie pour situer votre histoire?
C'est une région magnifique, très montagneuse, un pays dont très peu de gens connaissent le nom, donc, on peut facilement en faire un pays un peu magique, fantastique C'est un pays fascinant, qui a vu naître un incroyable mélange de races. Cette terre située autour de la Pologne et de la Tchécoslovaquie a été occupée par les Allemands, les Russes, les Suédois, les Lithuaniens, les Austro-Hongrois, les Turcs, les Huns, et diverses tribus mongol. Les juifs arrivèrent en abondance vers le quinzième siècle. La Silésie est un melting-pot fait de cultures, de langues, d'histoires différentes, et de mariages interraciaux. C'est cela qui m'a intéressé.. Du coup, j'ai eu l'idée de faire de mon personnage un juif, ce qui m'a ramené à Simon le magicien. Je connais peu la religion juive. Je ne suis pas juif, d'ailleurs. Ma grand-mère paternelle était juive, donc, mon père est juif, mais ma mère est catholique, ce qui fait que je ne suis pas juif, puisque c'est une religion transmise exclusivement par les femmes. Mais cela explique sans doute ma curiosité, mon envie d'explorer ce qu'est une communauté juive.
Comment résumeriez-vous le sujet du film?
C'est une histoire magique dans la tradition des contes yiddish, qui incorpore à la vie quotidienne la présence d'anges, de démons et d'esprits. Il y a un côté un peu "western" dans ce héros solitaire, ce paria qui vit sur une terre frontière très pauvre. Simon est incompris, maltraité, quelqu'un qu'on exploite et qu'on baratine, un marginal mystérieux et imprévisible. Et ce personnage étrange affectera le cours de la vie de chacun des membres de cette communauté, pour le meilleur. Dans le film, je fais de Simon un personnage qui est au croisement des deux principaux mythes des religions chrétiennes et juive: la crucifixion et la légende de la Pâques juive, selon laquelle Dieu a désigné les maisons dont les habitants devaient être sauvés. Il y a dans le film à la fois ce personnage en marge, qui sacrifie sa vie pour sauver celle des autres, et ce Dieu qui descend sur terre pour protéger ceux qu'il a choisi. Simon incarne à mes yeux la synthèse entre ces deux piliers des deux religions, juive et chrétienne.
Comment avez-vous choisi Noah Taylor pour incarner le personnage principal?
Je ne sais plus lequel de ses rôles m'a fait penser à lui, mais dès que je l'ai rencontré, j'ai été séduit par sa personnalité, qui est étrange et attachante. Il a la fragilité, l'humour, la spiritualité et l'humanité de Simon. Je lui ai expliqué que Simon est quelqu'un d'ambigu, il faut en incarner toutes les facettes. On ne sait jamais s'il est possédé par Dieu, ou par ses démons. Je crois surtout qu'il est devenu fou à force de solitude. Les adultes ont peur de lui, et en font un bouc émissaire, tandis que les enfants le trouvent drôle. C'est un personnage de conte de fées, même si, en l'occurrence, le conte est un peu gothique… Aujourd'hui, je ne peux plus dissocier Noah de Simon. Et, dans l'entrée de mon appartement, j'ai accroché le manteau et le chapeau de Simon. Pour que son âme me protège…
Que signifie le proverbe yiddish que vous aviez placé en exergue de votre scénario?
C'est un proverbe qui dit "Les épaules nous sont données par Dieu, et les soucis aussi". C'est vrai pour ce film, comme pour tout le reste…