Magnus von
Horn
Note de réalisation par Magnus von Horn
Les exhibitionnistes émotionnels me fascinent, sans doute parce que je suis à l’opposé d’eux. Je garde mes émotions pour moi, je ne les partage que rarement, de peur d’être jugé. Sur les réseaux sociaux, je suis un observateur passif de ceux qui racontent leur quotidien et leurs sentiments. Et je me demande toujours : est-ce vraiment leur vie ? Quand leur téléphone est éteint, sont-ils différents ?
J’ai ainsi suivi le compte d’une femme qui est coach sportive et influenceuse. J’étais fasciné par la quantité de photos et de vidéos qu’elle postait chaque jour. Cela allait de ses trajets en voiture à ses états d’âme. Elle prenait des photos de son corps, elle ouvrait en direct les paquets envoyés par ses sponsors. Elle avait 600 000 followers sur Instagram, elle posait en couverture de magazines consacrés au bodybuilding, ses séances de fitness étaient disponibles en DVD. Poster des photos, des vidéos et partager sa vie privée était devenu sa profession.
Je me suis demandé qui était cette femme, en dehors des réseaux. Sa personnalité en off était-elle différente ? Est-ce que tout cela l’amusait ou est-ce que cela lui pesait ? Un jour, elle n’a rien posté du tout. Pourquoi ?
J’ai envisagé de tourner un film sur elle. Je lui ai écrit, mais elle ne m’a jamais répondu. Alors je me suis abonné à d’autres personnalités du fitness. Un jour, un bodybuilder que je suivais s’est filmé, alors qu’il déjeunait en compagnie d’autres collègues. Soudain, dans le fond de la pièce, il a aperçu la coach que je suivais précédemment. Elle était assise au fond de la salle, attendant d’être servie. Elle était seule, elle ne parlait à personne. Son téléphone était posé devant elle. Quand le bodybuilder l’a interpellé et que tous à sa table lui ont fait signe, elle s’est aussitôt redressée et a envoyé des baisers vers la caméra.
Les réseaux sociaux m’ont permis d’entrevoir l’existence de cette jeune femme. Ensuite, j’ai tenté d’imaginer tout ce qu’elle ne montrait pas. Ainsi est née mon personnage.
Sylwia est très ancrée dans son époque, c’est une femme d’affaire pragmatique qui sert d’inspiration à ceux qui rêvent d’avoir son mode de vie. Elle explique qu’il faut être à l’aise avec son corps, être fier de qui on est. Elle répète qu’il faut s’accepter, mais comment faire quand elle-même n’y arrive plus ?
Les influenceurs génèrent beaucoup de haine. Cette haine est comme leur ombre, c’est une énergie sombre qu’eux-mêmes génèrent. Donc influenceur et « hater » sont liés. Comme Sylwia et son harceleur sont liés. Lorsqu’un harceleur entre dans sa vie, elle se met à douter car, par plein d’aspects, elle sent bien qu’elle lui ressemble.
Le personnage du harceleur, Rysiek, m’a été inspiré par Ricardo Lopez, l’homme qui a harcelé la chanteuse Bjork. Il s’était enregistré des heures durant, en racontant sa vie et en détaillant la façon dont il comptait tuer la chanteuse. L’écouter, c’était comme lire les posts des célébrités sur les réseaux. Ces gens ont une capacité à étaler leurs sentiments qui me fascine et qui me fait peur car je me sens connecté à eux, en tant qu’être humain.
De la même façon, dans le film, Sylwia doit accepter qu’elle est en partie comme Rysiek, qui se masturbe et se filme en partageant ses sentiments les plus intimes et les plus pathétiques. Rysiek n’a pas honte. Et à la fin, Sylwia n’a plus honte non plus. Elle est en accord avec elle-même, elle s’accepte. Et c’est à partir de là qu’elle est capable de donner l’amour le plus authentique à ses followers.
« Sweat » est rythmé par Sylwia. L’histoire est racontée de son point de vue subjectif. Nous sommes connectés au flot de ses émotions. Le style du film est très réaliste. Il raconte trois jours dans la vie de son héroïne, dans sa quotidienneté, sa banalité. Trois jours qui vont la transformer, la connecter davantage à qui elle est vraiment.
D’habitude je prépare mes longs-métrages en storyboardant chaque scène, puis au tournage je filme en fonction de ce que j’ai prévu. Mais là j’ai fait le contraire. On a enregistré parfois des prises de trente minutes sans s’interrompre. C’était très libérateur de ne pas réfléchir en termes de coupes et de montage.
Pour « Sweat » je voulais que la caméra soit toujours mobile. Elle est reliée avec Sylwia de façon intime. C’est un peu le même genre de rapport que Sylwia entretient avec son petit chien. Un chien aimant et fidèle qui a souvent le droit de sauter sur ses genoux pour un câlin, mais qui est parfois renvoyé dans un coin de la chambre, où il doit l’attendre. La caméra en fait de même. Elle suit ses humeurs. Elle l’aime et la respecte. Elle ne l’abandonne jamais. Mais Sylwia a le pouvoir d’abandonner la caméra. Elle choisit de nous mettre dehors, ou de nous laisser entrer.
Magdalena Kolesnik, qui incarne Sylwia, est une comédienne. Quand je l’ai choisi, elle n’avait pas de compte Instagram. Elle s’est entrainée dans en salle de gym durant un an, et elle a passé beaucoup de temps sur les réseaux pour comprendre son personnage. Sur le tournage, quand j’étais perdu, je me tournais toujours vers elle. Elle connaissait Sylwia mieux que personne.
La scène de fin, où Sylwia est invitée par une matinale télé, nous l’avons filmé le dernier jour. Je ne savais pas ce que le personnage de Sylwia dirait précisément sur ce plateau télé où elle est invitée. Mais après un an et demi de travail avec Magda, j’étais certain que la comédienne saurait quoi dire. Ce fut le cas. Et ce qu’elle dit dans cette scène est vrai pour elle, pour Sylwia et pour moi.
La fin du film est un succès pour Sylwia. Il y a certes de l’amertume mais aussi du succès. Sylwia s’accepte. Elle sait que la relation la plus intime de sa vie est celle qui l’unit à ses followers. Elle le comprend et veut s’y consacrer sincèrement. Peut-être que le spectateur aura un peu honte de l’avoir jugé. Et si le problème venait de notre regard sur elle ? Pouvons-nous la regarder avec autant d’amour qu’elle, lorsqu’elle s’adresse à nous ?