Lars Kraume
Comment est née l’idée de faire un film sur Fritz Bauer ?
C’est en lisant le livre d’Olivier Guez, mon co-scénariste : « L’impossible retour - Une histoire des juifs en Allemagne depuis 1945 » . Ce livre étudie la façon dont les juifs ont pu vivre en Allemagne, le pays des meurtriers, après l’Holocauste. Un des chapitres est consacré à Fritz Bauer et aux « procès d’Auschwitz ». J’ai trouvé le livre remarquable et quand Olivier est venu en Allemagne, il y a quatre ans, à l’occasion de la sortie allemande du livre, je l’ai rencontré et lui ai dit que ce serait un sujet passionnant à développer en film. En parlant ensemble, nous revenions constamment à Fritz Bauer, parce que c’est un personnage hors du commun : il ne s’est pas du tout comporté comme la plupart des victimes de l’Holocauste qui ne voulaient plus en parler. Bien qu’il ait eu à faire face à une très forte résistance, il voulait poursuivre les nazis - non pas par esprit de vengeance, mais parce qu’il était guidé par un grand esprit humaniste et qu’il voulait informer ses compatriotes. Il avait une personnalité lumineuse et il est devenu le personnage principal du film.
On peut difficilement résumer sa vie dans un film de moins de deux heures.
Oui, c’est vrai. Ce serait très difficile, rien qu’en terme narratif. Après avoir étudié longuement, avec Olivier, la biographie de Fritz Bauer, nous avons décidé de nous concentrer sur la traque d’Adolf Eichmann car c’est une période particulièrement haletante de sa vie et surtout elle montre bien ce que Fritz Bauer cherchait, et en quoi sa personnalité était hors du commun. Nous voulions raconter l’histoire d’une rédemption : celle d’un homme brisé et pessimiste, qui revient en Allemagne après la Seconde Guerre Mondiale et qui sera transformé grâce à son combat contre l’oubli collectif.
Lorqu’il a participé à l’émission de télévision : « Heute abend KellerKlub » qu’on voit dans le film, Fritz Bauer a pu exprimer ce qui le guidait.
C’est la raison qui nous a poussés à reproduire cette scène dans le film. Quand vous voyez de quelle formidable manière il explique aux jeunes du « KellerKlub » ce qu’est l’esprit de la démocratie, alors vous comprenez qu’il était un véritable humaniste. Il est convaincu que les Allemands nés après la Seconde Guerre Mondiale ont la possibilité de construire une nouvelle société. En fait, il a ouvert de nouvelles perspectives à la génération post-Adenauer, parce qu’il a osé lever le voile et briser le silence. C’est en cela qu’il est devenu par la suite une inspiration importante lors des révoltes des étudiants.
Cela rejoint l’enregistrement original du début du film, où Fritz Bauer dit que les jeunes générations en Allemagne sont désormais prêtes à entendre la vérité. D’où vient cet enregistrement ?
D’une émission de télévision faite pendant la période du procès Eichmann. C’était un début parfait pour le film, parce Fritz Bauer y explique très simplement ce qui le motive. Il pense que l’avenir de son pays natal dépend fondamentalement de la manière dont les jeunes générations vont gérer leur passé. Il est prêt à donner tout ce qu’il possède pour cela. Il a même risqué sa vie pour cette idée.
Comment avez-vous organisé vos recherches ?
Nous avons lu beaucoup de livres et en premier lieu toutes les biographies de Fritz Bauer. Nous avons aussi eu la chance de rencontrer Gerhard Wiese, qui est le dernier survivant de l’équipe des procureurs de Fritz Bauer. C’est un homme très vif, brillant et à l’esprit alerte qui nous a raconté ce que cela représentait, à cette époque, d’être procureur général à Francfort et quel genre d’homme son patron était. Il a été d’une grande aide. De plus, nous avons eu de nombreuses conversations avec les employés de l’institut Fritz Bauer . Ces échanges étaient denses et très instructifs. Peu de temps avant le début du tournage, il y a eu une grande exposition organisée au musée juif de Francfort.
Cette exposition présentait-elle également les documents accumulés par la police danoise sur Fritz Bauer ?
Oui, les rapports de la police danoise sur les contacts que Fritz Bauer avait avec des homosexuels étaient exposés là, au public, pour la première fois. Il a été prouvé que lorsque Fritz Bauer était en exil au Danemark, il a été arrêté en compagnie de prostitués hommes. On peut seulement imaginer comment il a dû gérer sa sexualité quand il a été nommé procureur général du Hesse. Nous avons essayé de traiter ce sujet dans le film de la manière la plus délicate possible. Mais aborder le sujet de l’homosexualité était important pour nous pour deux raisons : d’abord pour le développement dramatique de l’histoire car à cette époque le « paragraphe 175 » du Code Civil était toujours en vigueur. Ce paragraphe rendait illégales les « activités lubriques » entre hommes et donnait aux détracteurs de Fritz Bauer un prétexte pour provoquer sa chute. Et ensuite, pour montrer la tyrannie qui régnait pendant l’ère Adenauer : ce « paragraphe homo », qui avait été renforcé quand les nazis étaient au pouvoir, n’a été aboli en Allemagne qu’en 1994 ! C’est un exemple criant de toutes ces années durant lequelles les idées les plus injustes de l’ère nazi sont restées en place en R.F.A.
Les avocats généraux qui apparaissent dans le film sont-ils fictionnels ou ont-ils réellement existé ?
Presque tous les personnages du film ont réellement existé, à l’exception de Karl Angermann, qui représente l’idéalisme d’une jeune génération de procureurs généraux qui se battent au côté de Fritz Bauer par conviction. Nous l’avons imaginé à partir de plusieurs personnages ayant existé de manière à créer une figure attachante qui évolue aux côtés de Fritz Bauer, et bien sûr, pour amener le sujet de l’homosexualité dans l’intrigue.
Comment avez-vous choisi Burghart Klaussner ? Vous n’aviez jamais travaillé avec lui, il me semble ?
Non, on ne se connaissait pas. Notre directrice de casting Nessie Nesslauer me l’a recommandé. Il a immédiatement saisi la personnalité de Fritz Bauer et l’a interprété de manière incroyablement juste. On pouvait voir dès le début à quel point il était connecté à son personnage - et aussi quel point il lui ressemblait.
C’est-à-dire ?
Le même âge, le même physique, l’esprit vif, la maturité émotionnelle, la rage innée - et aussi l’humour. Mon plus grand souci était d’éviter de faire un film moralisateur et hypocrite. C’est pour cela qu’il était fondamental que mon personnage principal ait un côté acerbe, avec un humour nonchalant. Burghart Klaussner le joue extrêmement bien. Il a toujours le ton juste quand il fait dire par exemple à son personnage « J’ai un revolver - si je me suicide il n’y aura aucune rumeur ».
Quel est votre meilleur souvenir du tournage ?
Je pense que c’est la manière dont Burghart Klassner a insufflé tant de vitalité à un personnage qui était un peu en retrait, en lui apportant de nombreuses nuances. Il a accepté avec gratitude ce que le scénario pouvait lui offrir et m’a régulièrement surpris avec de nouveaux détails, comme par exemple son léger rire espiègle en fin de phrase.
Que peut-on encore apprendre de Fritz Bauer au 21ème siècle ?
Qu’un individu doit avoir le courage de se consacrer toute sa vie à une cause et de poursuivre un but, quelle que soit la forme de résistance qu’il rencontre. Fritz Bauer a dû faire face à de nombreuses oppositions pour avoir été « un Juif habité par la vengeance » et il a été constamment encerclé d’ennemis puissants. Aucune autorité allemande ne souhaitait coopérer avec lui ; ils ont dressé des obstacles les uns après les autres devant lui. Cette phrase célèbre est de lui : « Quand je sors de mon bureau, j’entre en territoire ennemi ». Finalement, son combat a prévalu. Pour moi, c’est un véritable héros.