Michael
O'Shea
Qu'est-ce qui vous a conduit à écrire et réaliser « Transfiguration » ?
J’étais en train de regarder un film très sensible et doux qui évoquait la difficulté de grandir en se sentant un "outsider". Il y avait une sorte de cruauté dans cette histoire, mais la fin était pleine d’espoir. En le voyant, je me suis dit que mon expérience de la vie était bien moins bienveillante. J'ai pensé qu’il serait intéressant de raconter la même chose mais d'un point de vue opposé, plus nihiliste. J’ai tenté d'imaginer ce que cela donnerait. Ça a commencé comme ça. J'avais échoué à lancer un autre projet, autour d'un scénario très ambitieux. Alors j'ai voulu travailler sur une idée qui serait réalisable, avec le plus petit budget possible, et que je pourrais diriger moi-même.
Et puis il y avait cet ami d’ami qui adorait les vampires, qui en dessinait constamment, et dont les camarades de classe se moquaient, il était devenu leur souffre-douleur. Cela me renvoyait à ma propre enfance. Ce fut l'autre défi pour moi : trouver comment intégrer cette expérience dans le scénario.
J’ai commencé à réfléchir aux questions de race, de classes sociales, de lieux de vie, en particulier à des endroits où l’extrême richesse côtoyait la grande pauvreté. Au départ, je pensais au Ninth Ward, ce quartier de la Nouvelle-Orléans majoritairement peuplé de noirs, dont les habitations ont été ravagées par l’ouragan Katrina en 2005, et qui est situé à côté du quartier français qui est pimpant, joyeux et énergique. Puis l’ouragan Sandy a frappé Rockaway (un quartier situé dans le Queens à New York) et j’ai réalisé que la comparaison entre l'endroit d'où je viens et les nouveaux quartiers branchés de New York fonctionnait encore mieux. Comme c'est là, à Rockaway et à New York, que j'ai mes racines, ce sont des lieux que je comprends visuellement, socialement et économiquement.
J’ai ensuite regardé tout un tas de films de vampires. Pour la plupart, je les voyais pour la quatrième ou cinquième fois, parce que j’adore les films d’horreur. J’ai beaucoup visionné le film de Park Chan-wook « Thirst, ceci est mon sang ». J’ai un rétroprojecteur et je le programmais pour que ce film passe en boucle sur le mur derrière mon écran d’ordinateur. C’est un film fascinant et très inspirant pour moi. J’ai pris des notes sur ce qui me touchait dans chaque film et sur comment je pouvais l’utiliser.
C’est à ce moment-là que j’ai commencé à lire deux livres : « Dracula » de Bram Stoker et « Le déni de la mort » d’Ernest Becker. Selon lui, notre société et notre culture sont construites sur le déni de la mort. Il pense que le mythe du vampire est une façon de nous rappeler que la mort est naturelle mais que le monde contemporain oublie cette leçon.
Dans le « Dracula » de Bram Stoker, j’ai été particulièrement intéressé, par la fascination de Renfield pour la chaîne alimentaire. C'est de là que vient l’obsession de Milo pour les vidéos d’animaux. Quant à l'ami d'ami qui dessinait des vampires, plusieurs de ses dessins sont dans le film, on en voit dans la chambre de Milo et cela me fait bien plaisir.
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Il y en a tellement ! En termes de style, je suis très influencé par ceux qu'on pourrait appeler les néo-réalistes, comme Aza Jacobs, Kelly Reichardt, les frères Safdie ou Ramin Bahrani. Et j’adore Lars von Trier. Non, je l'idolâtre. J’aime également énormément Gaspar Noé. Mais j’aime aussi beaucoup les films d’horreurs à petits budgets et les séries B. Jean Rollin et en particulier son « Requiem pour un vampire » m’ont aussi beaucoup influencé, notamment pour les plans larges de Milo. « God Told Me To » de Larry Cohen a aussi été une grande source d’inspiration dans la façon dont les décors explicitent l’esprit du film.
Il y a une vraie tradition dans le cinéma indépendant new-yorkais de films de genre à petits budgets, (je pense au « Toxic Avenger » de Lloyd Kaufman, au « Habit » de Larry Fessenden), dont j’espère mon film fait partie.
Comment voyez-vous l'avenir ?
Même s’il s’agit de mon premier film, je ne suis plus tout jeune et j’ai beaucoup d’idées pour de nouveaux films, alors j’espère que ce film va m’aider à pouvoir financer et réaliser d'autres projets. Dans « Transfiguration », je joue avec le genre du film de vampires, mais j‘aimerais aussi me confronter à d’autres genres de films. J'ai plein de scénarios que je souhaiterais voir aboutir : un film « slasher ». Un film de fantômes. Un film de possession. J’ai même une comédie musicale ! Récemment, je me suis passionné pour les petits films de genre de la fin des années 70 et du début des années 80 qui traitent de sous-culture avec des aliens comme « Repo Man », « Liquid Sky » et aussi « Street Trash » et « The Stuff ». J’adorerais faire un film à petit budget qui surferait sur ce registre de films.