Gustav
Möller
Comment est née l’idée de « The Guilty » ?
J’écoutais ce podcast qui s’appelle « Serial », autour de l’histoire vraie d’une jeune fille, Hae Min Lee, qui a été assassinée. Le suspect était son petit ami, aujourd’hui en prison, et les créateurs du podcast cherchaient à savoir s’il avait effectivement commis le meurtre. C’est un podcast, il n’y a donc que du son, mais ils ont réussi à créer des images à partir de cela. Ils ont utilisé le dialogue et aussi des effets sonores pour recréer le lycée où ils étaient, la scène de meurtre, et la prison. À chaque épisode, on recevait de nouvelles informations sur l’affaire et le suspect et ce qui est intéressant, c’est que ces informations changeaient à chaque fois, modifiant ainsi les images qu’on se faisait de l’environnement enregistré. Je m’en suis inspiré pour « The Guilty » : le film commence d’une certaine façon, afin que les spectateurs se créent une image et ensuite, au fur et à mesure que l’on expose plus d’informations sur l’affaire… Mais je ne veux pas vous spoiler ! La question était : comment unir le pouvoir d’un autre média, tel que le podcast, avec le pouvoir du cinéma ? Au cinéma, on est assis dans une pièce avec d’autres personnes, et ça devient l’extension de cette pièce sur l’écran. J’aimerais qu’en regardant le film, on se sente dans la même pièce que les personnages.
Vous avez sans doute regardé d’autres films de huis clos ?
Bien sûr ! J’ai regardé tous les films de « téléphone » tels que « Locke », « Buried », « Phone Game ». Et des huis clos, tels que « Un après-midi de chien » et surtout « 12 Hommes en colère » et j’ai été impressionné par la façon dont Sidney Lumet utilise la météo. On a chaud pendant tout le film. Nous, nous avons choisi la pluie. Le bruit de la pluie est l’un des meilleurs sons qui soient pour créer une sensation. Il suffit de l’entendre pour avoir l’impression d’y être. Nous avons différents types de pluie dans le film. Au début elle est agressive, avec une pluie qui frappe fort et des essuie-glaces. À la fin, la pluie est presque calme et triste.
Le travail sonore était crucial. Plusieurs sons ont été enregistrés sur les lieux de l’action, par exemple, à l’intérieur d’une voiture de police ou dehors, sur une autoroute, ou sur un pont. Le son occupe une très grande partie du film, c’est comme si on avait fait la moitié du travail sur les décors et l’image dans la salle du montage son. C’est d’ailleurs le son qui a guidé le casting. Pour choisir la femme kidnappée, qui n’existe qu’au téléphone, j’ai fait un casting de voix. J’ai choisi Jessica Dinnage parce qu’elle avait de la souffrance dans la voix, un timbre rauque, un peu brisé, très spécifique.
Et votre acteur principal, Jakob Cedergen, comment l’avez-vous choisi ?
Ce sont ses yeux qui m’ont convaincu qu’il était parfait pour le rôle. C’est comme s’il vous cachait un secret, mais en même temps on peut lire tellement de choses à travers son regard ! Jakob intensifie cette idée que chaque spectateur est libre d’apporter ses propres images à l’histoire, il représente une sorte de portail pour ça. Nous l’avons choisi très tôt dans le développement du film, il a pu contribuer à l’écriture du scénario en apportant ses propres idées.
Où et en combien de temps avez-vous tourné le film ?
Le film a été tourné de façon chronologique, sur treize jours, avec trois caméras. Le centre d’appels a été construit dans un immeuble de bureaux abandonnés, où on a reproduit presque à l’identique un centre d’appels qu’on avait visité.
Avez-vous appelé le 112 pour vos recherches ?
Non, jamais, mais nous sommes allés dans un centre d’appels d’urgences et nous avons écouté beaucoup d’appels. Certains sont d’ailleurs retranscrits quasiment mot pour mot dans le film. Quand j’étais en école de cinéma, j’ai fait des films dans tous types de milieux : la boxe, le crime, la psychiatrie... Une des choses que j’aime en tant que réalisateur, c’est de pouvoir rencontrer des gens de plusieurs milieux, et visiter des endroits peu accessibles.
Vous avez souvent recours aux plans larges.
Cela permet de créer une sensation de réel dans le jeu du comédien, en particulier dans la seconde moitié du film. Sur le tournage, ces plans avaient pour but de pousser Jakob à bout, de le rendre aussi épuisé que l’aurait été Asger, son personnage. Nous cherchions à capturer toutes les petites erreurs que l’on commet lorsque l’on est stressé.
Diriez-vous que le film est un thriller de l’imagination ?
Nous souhaitions jouer avec le genre du thriller, et avec les attentes du public sur le genre. Notre protagoniste va à l’encontre des règles. Généralement, quand un héros fait ça dans un film, il a toujours raison. Quand on voit un flic qui dit « je ne fais pas ce que veut le système, je fais comme je sens », on est de son côté. Donc, on commence le film avec ce genre d’archétypes sur le bien et le mal. Ensuite, au fur et à mesure que le film avance, on arrive dans une zone grise. Car la réalité est bien plus nuancée…