Fabio
D’Innocenzo, Damiano
D’Innocenzo
Comment est né le sujet du film ?
Fabio : On avait l’image de deux jeunes, dans une voiture, qui parlaient de leurs vies. Puis on a imaginé leur passé, le contexte de leur quotidien et c’est ainsi qu’on a trouvé le point de départ de l’histoire. On a été les premiers spectateurs de notre film, on le voyait naître pendant la phase d’écriture. On avait une vision d’ensemble, le reste s’est écrit tout seul.
Damiano : En le relisant aujourd’hui (on l’a écrit il y a six ans !), je le trouve plutôt structuré. D’un point de vue dramaturgique tous les actes sont présents, avec leurs rebondissements et un climax… Mais nous l’avons écrit en nous fiant simplement à notre instinct, sans chercher à suivre des codes.
Fabio : On voulait raconter une histoire d’amitié. Elle est au coeur de notre histoire. On peut définir « Frères de sang » comme un film de genre, mais pour nous, le monde de la criminalité reste un décor. C’est le rapport entre les deux garçons qui nous intéresse.
On a du mal à croire que « Frères de sang » soit votre premier film…
Fabio : C’est bien un premier long métrage, et ça se voit, il y a certaines composantes naïves que l’on ne voulait pas perdre et dont nous sommes fiers ! On sent que c’est un premier long grâce à l’enthousiasme qui s’en dégage. C’est un film très triste si on y pense, mais qui fait rire aussi. On s’est énormément amusés sur le tournage, c’était une expérience incroyable, on travaillait avec le sourire et je pense que ça se voit à l’écran. C’est un premier film qui est fier de l’être.
Vous aviez écrit plusieurs scénarios auparavant. Pourquoi avoir choisi celui-ci pour réaliser votre premier film ?
Damiano : Quand on était très jeunes on a écrit un scénario qui a ensuite été tourné aux États-Unis. On est crédités mais le film est atrocement nul et le scénario a été complètement transformé. À partir de là on s’est dit : la prochaine fois, demandons-nous d’abord si c’est nous qui en serons les réalisateurs !
Fabio : On a écrit pour beaucoup de cinéastes ces dernières années, on a parlé avec beaucoup d’entre eux, on suit et on étudie tout le monde, au cinéma comme au théâtre.
Damiano : On est originaires de la périphérie de Rome, Tor Bella Monaca, qui est un peu considérée comme le Bronx, mais on est convaincus que le cinéma est quelque chose de concret, que l’on peut fabriquer partout. Il faut écrire tous les jours, se dédier au travail, aller voir le travail des autres, et connaître les acteurs de cinéma et de théâtre.
Comment avez-vous travaillé sur les dialogues, qui sont très ironiques ?
Damiano : On a énormément travaillé comme « ghost writers ». On a appris ce qu’il fallait garder et ce qu’il fallait enlever, on s’est beaucoup formés sur le plan scénaristique. Pour la réalisation, on a appris en regardant les grands auteurs, alors que pour l’écriture c’est de nos erreurs qu’on a le plus appris. Quant au ton des dialogues… Plus un territoire est misérable, plus ses habitants développent un humour noir qui leur est propre.
Comment travaillez-vous sur un plateau ?
Fabio : Un conseil à ceux qui veulent faire du cinéma : trouvez-vous un frère ou une soeur, parce que travailler à deux sur un plateau c’est génial. Ça permet d’avoir le double du temps. On a tourné le film en 29 jours, mais c’est comme si on en avait eu 58 à disposition ! Être à deux nous a donné le temps de vérifier ce qu’il se passait dans chaque département, d’aller dans le détail de chaque scène.
Comment avez-vous choisi vos acteurs ?
Fabio : Nous avons tout de suite trouvé Andrea Carpenzano, dès le premier jour de casting. Ça a été moins évident pour le rôle de Mirko. On a vu plus d’une centaine de jeunes comédiens. On avait une idée bien précise du couple que l’on voulait voir à l’écran, et aucun d’entre eux ne semblait être le partenaire idéal pour Andrea. Et puis un jour, Matteo Olivetti, un jeune homme de 28 ans, d’apparence un peu trop âgé pour le personnage et sans aucune expérience, est venu nous voir. Il avait un côté extrêmement naïf et il s’est montré « merveilleusement imparfait », il avait encore cette fraîcheur enfantine et cette envie de vivre qui pouvait le rendre incroyable.
Le cinéma italien actuel est très centré sur des histoires de criminalité. Mais contrairement aux autres, vous ne rendez pas le crime spectaculaire. Pourquoi ?
Damiano : Nous aimons bien l’idée de la retenue comme dispositif dramaturgique. Le crime est hors champ, on ne le voit pas, mais on sait qu’il est là. Cela ajoute du suspense. Si on a une histoire qui fonctionne, il est important de ne pas la compliquer ; ça ne sert à rien de la rendre plus spectaculaire, c’est l’histoire qui choisit ses propres ingrédients. La différence, par rapport aux autres films, c’est peut-être la rigueur que nous avons héritée du dessin et de la photographie. Comme nous venons de ces domaines, nous avions déjà notre propre code, bien que n’ayant rien filmé avant.
Il y a beaucoup de films sortis récemment sur la périphérie de Rome…
Fabio : La grande différence, c’est que ce sont tous des films de réalisateurs qui sont nés dans d’autres quartiers et qui racontent la périphérie. Ils l’ont étudiée mais ils n’y ont jamais vécu. Nous voulions éviter cette touche de fiction qu’ont beaucoup de ces films et qui nous dérange.
Au générique vous avez de grands techniciens du cinéma italien, tels que Paolo Carnera à l’image…
Damiano : Il nous a été proposé par la production, un choix auquel nous avons adhéré avec enthousiasme. Nous nous sommes entourés de grands chefs de département. Souvent, pour un premier film, les producteurs vous conseillent de travailler avec des gens qui vont grandir avec vous, mais nous préférions apprendre des meilleurs. À la photographie, au montage, aux décors, aux costumes, nous avons choisi nos préférés. Nous avons eu la chance que le scénario réussisse à les convaincre.
De quelles filmographies, de quels auteurs vous sentez-vous les plus proches ?
Fabio : Moi je citerais Takeshi Kitano, John Ford, John Cassavetes, Werner Herzog et Rainer Werner Fassbinder.
Damiano : Moi, Billy Wilder, Ermano Olmi, David Lynch, Toshio Matsumoto.
Vous aimez le cinéma, visiblement…
Fabio : Énormément. Quand on était plus jeunes, on organisait nos propres festivals privés : tous les 4-5 mois, chacun de nous deux préparait une liste d’une dizaine de films qu’il proposait à l’autre, on visionnait tous les 20 films en seulement quelques jours et puis on se réunissait comme un vrai jury pour élire les gagnants.
Damiano : Je me rappelle qu’une fois ce fut un film choisi par Fabio qui gagna tous les prix, un vrai chef d’oeuvre, « Les Funérailles des roses » de Toshio Matsumoto. Ça m’est resté en travers de la gorge, mais il avait raison, c’était de loin le meilleur de tous…