En 2022, Don Juan n’est plus l’homme qui séduit toutes les femmes, mais un homme obsédé par une seule femme : celle qui l’a abandonné…
Don Juan
Réalisateur : Serge Bozon
Sortie en salle : 23-05-2022
Avec :
Virginie Efira, Tahar Rahim
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Bande annonce
- 1h40
- France
- 2022
- 1.66
- 5.1
- AD-SME
Synopsis
En 2022, Don Juan n’est plus l’homme qui séduit toutes les femmes, mais un homme obsédé par une seule femme : celle qui l’a abandonné…
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Fiche artistique
Julie Virginie Efira
Laurent Tahar Rahim
L'Homme tranquille Alain Chamfort
Naël Damien Chapelle
La metteuse en scène Jehnny Beth
Marina Louise Ribière
Fiche techniqueRéalisateur Serge Bozon
Scénario Axelle Ropert, Serge Bozon
Conseillère artistique Pascale Bodet
Montage François Quiqueré
Image Sébastien Buchmann
Son Laurent Gabiot, Renaud Guillaumin
Musique originale Benjamin Esdraffo
Chansons Jacques Duvall, Mehdi Zannad, Benjamin Esdraffo, Laurent Talon
Chorégraphies Christian Rizzo
Assistante mise en scène Julie Gouet
Direction de production Damien Saussol
Casting Stéphane Batut
Décors Pascale Consigny
Costumes Delphine Capossela
Producteurs David Thion, Philippe Martin
Coproducteurs Jean-Yves Roubin, Cassandre Warnauts
Producteurs associés Arlette Zylberberg, Tanguy Dekeyser, Philippe Logie
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Serge Bozon
Pourquoi Don Juan ? Pourquoi maintenant ?Au départ, il y avait simplement l’envie de sortir du registre des films plus ou moins « de genre », au sens lié à l’action : « La France » avait un rapport au film de guerre, « Madame Hyde » au film fantastique, « Tip Top » au film policier... Et dans les trois, ce rapport à l’action n’était pourtant jamais central dans le résultat final. Alors autant l’abandonner d’office ! Cette fois, je voulais faire quelque chose qui soit davantage dans l’émotion en racontant juste une histoire d’amour, ce que je n’avais jamais fait. Pour cette histoire d’amour, je trouvais plus simple de prendre un point de départ que tout le monde connaît, et j’ai donc proposé à Axelle Ropert, ma co-scénariste, de travailler sur Don Juan. À ce moment-là, Axelle était très investie dans ce qui se passait autour de #Metoo et nous sommes tombés d’accord sur l’idée d’un Don Juan inversé. Au lieu de conquérir tout le monde, il est abandonné dès le début et il sera encore abandonné à la fin, définitivement. Plutôt qu’un Don Juan qui séduit toutes les femmes, lui est obsédé par une seule femme, qu’il voit se multiplier partout. Et il n’arrête pas de se faire jeter par les femmes qu’il aborde en croyant ainsi la reconnaître. Normalement, un Don Juan est victorieux, cynique et manipulateur ; là il est perdant, sincère et démuni. Avoir un homme obsédé par une femme unique au lieu d’un homme passant de femme en femme permet aussi d’écrire l’histoire d’un duo plutôt que d’un solo. Donc de faire un film vraiment pour deux acteurs, un homme et une femme, Tahar Rahim et Virginie Efira.
Cela dit, je ne me suis pas senti soudain sommé par l’époque de faire un film sur ces questions brûlantes de « genre ». Le principe de l’inversion est présent dans tous mes films : « Tip Top » est un polar dont les héroïnes sont des inspectrices de la police des polices (obsédées par l’équité), « Madame Hyde » reprend au féminin un personnage masculin fameux, « La France » est l’histoire d’une femme qui se fait passer pour un homme (pour aller à la guerre de 14)… Mais il est vrai qu’avec Axelle Ropert, avec laquelle j’ai écrit tous mes films, il y avait une forme de tension particulière, plus virulente que d’habitude, là.
On voulait proposer avec ce Don Juan une figure non-victorieuse de la séduction. Le film interroge quelque chose autour de l’abandon. Pour dire les choses basiquement, un Don Juan classique couche avec toutes les femmes et c’est là son triomphe. Le nôtre ne trompe pas et ne triomphe pas. Son donjuanisme tient uniquement dans son regard sur les femmes, sans trahison, conclusion, tromperie. Tout se joue juste sur le regard.
Le scénario est ultra-simple. Une femme abandonne un homme qui croit la voir ensuite partout, elle revient, ils se remettent ensemble et elle finit par l’abandonner définitivement. Voilà, c’est tout. Toute l’histoire tient en une petite phrase. L’intérêt du récit n’est donc pas la richesse des rebondissements ou la virtuosité dramaturgique, mais la manière dont le film traque dans cette simplicité narrative-là quelque chose de ténu mais d’important, je crois : d’où vient le doute dans un couple ? Où se loge ce qui peut faire basculer la confiance amoureuse ? Et c’est là que la musique intervient, car c’est grâce au chant que le film peut déployer des choses intimes sur ce doute – comment les sentiments peuvent être mis en péril par presque rien : un coup d’œil, un micro-geste… J’aimais bien cette idée du « presque rien » du récit qui devient un « presque tout » par la musique. Du minimum narratif qui devient un possible maximum émotif par la musique.
On oppose souvent la mélancolie dépressive de Don Juan à l’hédonisme libertin de Casanova.Don Juan est beaucoup plus noir que Casanova. Il y a dans la pièce de Tirso de Molina, l’auteur du Don Juan originel, la phrase suivante : « Qu’ils chantent, car bientôt ils auront à pleurer ! ». Et c’est vrai que, d’ordinaire, les comédies musicales sont plutôt des promesses d’euphorie communicative ; là, la musique vient au contraire accentuer le caractère ombrageux sinon douloureux des personnages. Je crois que les mots seraient plus ternes que le chant pour exprimer une telle douleur intime. La musique exprime donc ce que les personnages ne sauraient bien dire en mots. Elle est comme une voix off qui chanterait – une plongée dans le doute intime d’un personnage et non un partage collectif de l’euphorie extérieure. C’est pour ça que ce n’est pas vraiment une comédie musicale, juste un film d’amour avec quelques rares passages chantés.Le film ne cède rien au mythe de Don Juan tel qu’on l’a connu et en offre une version féministe. Il prend le parti des femmes.Ce n’est pas à moi de dire si le film est féministe. En tout cas, il y avait un triple parti : 1) le film montre à chaque fois une révolte des femmes qui rejettent Laurent/Tahar quand il les « harcèle » (rejet culminant dans la danse nocturne pendant la fête finale) ; 2) Laurent/Tahar n’est jamais présenté comme une victime des femmes mais comme une victime de lui-même ; 3) à la fin, il n’a plus rien (ni métier, ni femme) alors que Julie/Virginie resplendit au théâtre.Depuis Antonioni et Bergman, il y a une grande tradition auteuriste du film sur
« l’incommunicabilité » au sein du couple, à laquelle le film échappe, mais qu’il semble connaître...C’est une tradition plutôt pesante pour moi. Voilà : je n’ai pas d’affinités avec le néo-existentialisme des auteurs de la modernité (Bergman, Antonioni, Resnais...), je préfère passer directement de Minnelli ou Sirk à Fassbinder en sautant ainsi la grande modernité européenne du début des années 60. Au fond, Fassbinder prolonge plus Hollywood qu’Antonioni ne prolonge Cinecittà. Il y a une vraie continuité, ne serait-ce que dans la croyance au mélo, là où Antonioni glace le récit et prépare ainsi l’esthétique désabusée des magazines de mode sur papier lui-même glacé.
Par ailleurs, je ne souhaitais ni accabler le personnage masculin, ni l’excuser, juste travailler un doute sur sa violence. Il fallait entretenir ce doute crucial sur la violence de ce que notre Don Juan impose à son Elvire, puisque cette violence ne tient qu’à des choses infimes, à cet effondrement qu’un seul regard peut faire naître. D’où vient sa façon de regarder les femmes ? Il est embarqué dans un truc permanent de rêveur, mais c’est une pente qui le prive de perspective et l’enferme plus qu’autre chose. C’est un personnage bloqué, hanté, il n’a rien de particulièrement pervers ou manipulateur, ce qui ne l’empêche pas d’être peut-être dangereux.
Cela étant, quand je fais un film, je ne me pose pas tellement de questions de contenu. Ce qui m’excite, c’est plutôt la lumière, le son, la mise en scène, savoir où je mets la caméra, comment diriger les acteurs, etc. Je ne prétends pas faire des films naïvement, mais je me laisse porter par le mouvement du tournage sans trop me poser de questions sur le contenu, que je découvre en fait au montage. (Et là, par contre, je m’interroge enfin avec le monteur sur ce que le film raconte !) En revanche, ce que je sentais, c’est que du début à la fin, la matière du film bouge en permanence de façon souterraine, comme des vagues qui se déplacent en sourdine, sans que l’on sache très bien où ça va mais sans que cela paraisse non plus digressif ou farfelu. Cela bouge tout le temps mais le film tient en même temps une seule note, pleine d’inquiétude, qui résonne dès l’ouverture.
Le personnage féminin que joue Virginie Efira, Julie à la ville et Elvire sur scène, est multiple, quand celui de Tahar Rahim, qu’il soit Laurent ou Don Juan, est unique.Oui. Au début, pour lui, c’est de l’ordre de l’obsession pure : il la voit partout. C’est seulement à la fin du film, avec l’espèce de « couronnement » théâtral qui vient consacrer Elvire/Virginie, que son obsession est relayée par une supériorité théâtrale au sens strict, au sens objectif : sa puissance à elle, c’est de pouvoir être toutes les femmes lorsque lui n’est qu’un seul homme, ou même qu’un regard masculin. C’est pour cela qu’il est obligé de lui dire : « Tu joues mieux que moi ». Et il a raison. Cela n’a aucun rapport avec le talent personnel de chacun. Elle peut être toutes les femmes, lui ne peut être qu’un Don Juan bloqué dans son regard obsessionnel. Étrangement, cette limitation extrême n’empêche pas une ardeur en lui permanente, que rien ne peut éteindre. Il est bloqué dans la position culturellement la plus attendue pour un homme mais son blocage n’empêche jamais l’ardeur.La musique et les chansons ont toujours pris une grande place dans votre cinéma.Quand on n’aime pas le naturalisme, la comédie musicale est toujours possiblement présente, car c’est le genre le plus anti-naturaliste qui soit. J’ai déjà fait des films musicaux. Dans « La France », il n’y avait que des chansons, pas de danse. Dans « Mods », il n’y avait que des danses, pas de chant. Là, je voulais les deux.
Dans mes films antérieurs, les choix musicaux semblaient étonnants sinon « décalés ». Là, c’est le contraire : je ne cherchais pas le décalage mais l’évidence. J’ai donc cherché quel type de musique serait le plus en accord avec ce qui se joue dans le film. Un film d’amour, donc des chansons d’amour. Mais un amour blessé et douloureux, donc des chansons blessées et douloureuses.
Et le terme même de « chanson » est trompeur. Une chanson, c’est une structure avec des couplets et un refrain qui tournent. Quelque chose qu’on peut chanter sous la douche, en se promenant… parce qu’on connaît déjà l’air et les paroles. Pas là. Les personnages de mon film ne se mettent pas à chanter quelque chose qu’ils connaissent déjà. Ils sont emportés par ce qui se joue dans telle ou telle situation et le fait qu’ils chantent n’est pas une pause dans l’histoire mais une étape de l’histoire. Par cette dimension narrative, on est donc plus proche de l’aria que de la chanson : la musique ne tourne pas en couplets/refrain, elle se développe pour atteindre des « franchissements » lyriques.
Jusqu’alors, j’étais resté dans le spectre de la musique pop. La pop est par définition un genre léger qui repose sur un non-investissement émotif des chanteurs. Une « pop mélodramatique » est un oxymore. La variété peut être mélodramatique, pas la pop. Comparez les Beatles à Piaf (ou Voulzy à Fréhel, ou Daho à Christophe), vous verrez ! Ici, il ne fallait surtout pas cette légèreté, ce chant délié et blanc de la pop. Il fallait un lyrisme ombrageux. Donc il fallait sortir de la pop.
Sortir de la pop, ça veut dire quoi ? Déjà éliminer tous les instruments pop : pas de basse, de guitare, de batterie, de synthé, etc. Donc ne garder que des instruments de la musique classique. Mais pour atteindre quel style musical ? Celui du film n’est pas réellement identifiable : ce n’est évidemment ni du rap, ni du reggae, ni du rock, ni du zouk... ni de l’opéra. Est-ce un genre nouveau ou un simple intermédiaire entre des genres anciens (disons le classique et la pop) ? Je ne sais pas. L’orchestration est classique (et même symphonique), pas le chant. Benjamin Esdraffo a composé toute la bande originale mais les chansons sont le fruit d’un travail collectif où Mehdi Zannad a eu une importance cruciale. Et c’est Jacques Duvall qui a écrit toutes les paroles.
En tout cas, le passage du parlé au chanté ne se fait pas au rythme d’une désinvolture pop mais au contraire dans une sorte de gravité : c’est un franchissement pour les personnages comme pour les acteurs, qui chantent tous en son direct, c’est le moment où il s’agit pour eux de « se lancer ». Je tenais beaucoup à cet engagement dans le chant et dans le champ.
Tahar a pris une cinquantaine de cours de chant, Virginie a appris à jouer du piano. Ils se sont plus qu’investis.
Ce film vous ressemble mais il apporte aussi du neuf. On peut y voir un travail de déconstruction sur la nature du métier d’acteur, comme une réflexion sur celui de metteur en scène.Je n’y avais pas réfléchi comme ça. J’avais juste envie de faire un film dont la trajectoire irait de Molière à Mozart. Au début, le film est associé au théâtre, progressivement il s’élève vers la musique dans un mouvement presque « céleste » : on finit sur des plans de ciel avec Mozart en bande-son. C’est peut-être naïf, mais tout le film amène à l’ouverture de l’opéra de Mozart, c’est pour cela qu’il épouse dans son dernier tiers le point de vue du Commandeur, qui fait s’écrouler l’idylle recommencée entre Laurent et Julie. J’aimais l’idée qu’on parte d’une matière plutôt cruelle et sèche, comme chez Molière, pour arriver à une ardeur romantique, au sens du romantisme allemand. C’est quoi, le romantisme ? La définition de Schlegel est : traiter un sujet sentimental par une forme non sentimentale mais s’approchant du fantastique. J’ai essayé de faire ça. Et cela touche aussi aux personnages, aux transformations de Virginie, à la fébrilité permanente du héros. Comme un récit de type « romantique allemand » sur des acteurs qui se dédoublent à tour de rôle et chantent parfois l’un à l’autre sous tel ou tel déguisement, rôdant à deux dans une énigme mutuelle (qui n’a aucun rapport avec l’incommunicabilité d’Antonioni). C’est vraiment très proche, je crois, des récits de Mörike, Eichendorff, Hoffmann... sur des comédiens ardents et perdus qui sont victimes d’illusions régulières, chacun cherchant l’autre sans jamais le trouver.
Mais ce film ne représente-t-il pas aussi une occasion de parler, via le théâtre et les acteurs, de votre travail ?Je ne sais pas. Avant le tournage, j’appréhendais plutôt la part théâtrale du film, comme une phobie de l’espace fermé, de la boîte noire. Puis j’ai eu en repérages l’illumination d’un théâtre ouvert sur l’extérieur, avec la possibilité de faire entrer dans le cadre la nature, le vent, la mer, les mouettes et surtout la lumière naturelle. Ce qui m’a libéré, c’est ce rapport intérieur-extérieur, entre la nature dehors et le décor du plateau dedans… qui n’est d’ailleurs pas un décor (car il n’y a jamais rien sur scène) mais juste une ouverture. Le décor, c’est l’ouverture. Point. Du même coup, les scènes les moins stylisées en lumière sont paradoxalement les scènes de théâtre, où c’est la lumière naturelle qui fait tout, que ce soit en jour ou en nuit.
Il y a aussi, dans les scènes de répétition théâtrale, un travail sur les gestes, notamment ceux de la metteuse en scène (jouée par Jehnny Beth), qui développe pour s’exprimer toute une gestuelle précise et légère entretenant comme un lointain rapport à la danse. Je ne voulais pas aller vers le registre de la comédie musicale rétro avec des scènes de ballets collectifs, mais c’est quand même une façon d’évoquer la danse, comme l’ouverture avec les gestes de Tahar devant le miroir. On a travaillé avec Christian Rizzo, le chorégraphe, avec cette idée en tête : la danse n’est pas que dans le duo romantique dans la chambre d’hôtel ou dans la danse des « sorcières » à la fin, elle est aussi dans tous ces gestes stylisés qui rythment le film, du début à la fin.
D’une façon générale, la fantaisie qui surgit parfois dans le film est surtout portée par les seconds rôles (Damien Chapelle, Jehnny Beth, Louise Ribière, Colline Libon). La fantaisie ne caractérise pas du tout les deux personnages principaux. Comme le répète souvent Laurent/Tahar, le couple principal est au fond un couple ordinaire, des gens comme vous et moi, qui sont acteurs comme on peut être prof, comptable ou infirmier. (D’où la banalité de leurs prénoms : Laurent et Julie.) Je crois qu’on s’attache à eux aussi pour ça. Ce ne sont pas des êtres loufoques ou des stars fantasques mais des êtres sérieux et quotidiens avec des soucis sérieux et quotidiens. Bizarrement, c’est mon premier film qui s’intéresse à la banalité.
Dans sa forme comme dans son fond, ce Don Juan marque une amplitude plus solennelle de votre cinéma.Je cherchais en effet quelque chose de moins grinçant que mes deux précédents films, de plus harmonieux, qui pratique moins la rupture de ton, ne joue plus sur la cassure permanente, disons une forme plus ample et vibrante. J’étais en quête d’une émotion qui monte peu à peu, tout simplement. Pas tout de suite mais peu à peu : après une ouverture un peu abstraite, un récit plus concret s’ouvre avec le départ à Granville, puis une émotion s’installe progressivement, j’espère, avec le retour de Julie, puis...Le casting lui-même indique un tournant : Virginie Efira, Tahar Rahim, Alain Chamfort…Virginie, j’y ai pensé très vite, avec cette intuition de la faire jouer d’une façon un peu plus « douce » et « interrogative » qu’elle ne l’a laissé voir jusqu’ici. Ce n’est pas un personnage en proie à de grands événements, tout son rôle tient dans la réflexion intérieure, une sorte de pensée retenue : elle cherche où se trouve sa confiance. C’est un peu comme sa scène au piano : oui, elle finit par craquer, mais après une longue retenue, comme une cassure qui surgit en douceur dans son chant même. Et je trouve qu’elle a une beauté non littéraire qui la rend inattendue dans le film et qui rend inattendue sa pensée retenue, là.
Et je voulais aussi la voir se modifier, transformer plusieurs fois son image, la faire apparaître en rousse, en brune, cheveux courts, longs, yeux bleus... alors qu’on la connaît souvent fidèle à une seule image. Ce qui était amusant, c’est de lui demander pour ses « alter ego » le contraire de ce que je lui demandais pour Julie : à la place d’une réflexion intérieure, une immédiateté extérieure – la « femme joyeuse » est immédiatement joyeuse, la « femme gothique » immédiatement revêche, la « femme timide » immédiatement timide, etc.
On n’a jamais vu Tahar Rahim comme ça, il fait un don unique.Tahar apporte quelque chose d’éperdu, d’innocent et de non-manipulateur à un point presque extrême. On n’a jamais l’impression qu’il ment. Et d’ailleurs ment-il ? On ne sait plus, même dans la scène du restaurant où Laurent/Tahar est pourtant dans le déni le plus total. Grâce à son jeu, son personnage est devenu à la fois fragile et ardent, avec quelque chose de très charnel, charnu, comme un pain trop chaud. Oui, on le voit comme on ne l’a jamais vu. C’est peut-être éculé de dire ça mais il a apporté au film, comme Virginie, des choses que je n’avais pas anticipées. C’est une grande rencontre pour moi. C’est comme s’il était le centre intérieur du film et elle son extérieur qui ne cesse de venir se heurter au centre, de l’apprivoiser, de le caresser, d’en douter à nouveau, de se ré-extérioriser, etc. Oui, il s’est complètement abandonné au film.On assiste aussi à la naissance d’Alain Chamfort au cinéma.Il n’a jamais joué, en effet, à part deux mini-rôles. C’était un pari risqué mais il s’est glissé sans effort dans la peau de ce Commandeur spectral et ironique, avec un côté émacié entre Henry Fonda et Bryan Ferry. Et par son allure, son âge, ses manières mi-mondaines, mi-souveraines, légèrement tremblant et jamais pompeux, il était capable de faire passer ces inquiétudes souterraines qui habitent le film. C’est peut-être plus grave de perdre sa fille que de perdre sa confiance dans l’homme qu’on aime (pour un regard) ! Alors peut-être que c’est lui qui porte le chagrin le plus profond du film... Malgré son stress initial, les choses ont été très faciles avec lui et il garde quand il joue cette élégance physique très particulière, cette politesse à la fois exquise et maladroite qui donne le sentiment qu’il improvise, ne sachant jamais ce qu’il va dire, comme s’il inventait son texte au lieu de l’interpréter.
Propos recueillis par Olivier Séguret
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