Iram Haq
Le titre original en Urdu signifie « Que vont dire les gens »…
Je viens d’une culture où la tradition et le sens de l’honneur sont les deux valeurs dominantes. Cette obsession de l’avis des autres, je tiens à m’en débarrasser. Je veux en éradiquer les racines, une bonne fois pour toutes. L’essentiel à mes yeux est d’être fidèle à soi-même. J’espère que le film permettra de comprendre le dilemme auxquels sont confrontés parents et enfants lorsqu’ils n’ont pas le sentiment d’appartenir au même monde. Je ne cherche pas à provoquer, mais à montrer une réalité. Je veux dire aux jeunes qu’ils ont le droit de conquérir leur liberté. Et dire aux parents qu’ils doivent entamer le dialogue.
Nisha, votre héroïne, mène une double vie : Pakistanaise à la maison, avec sa famille, et Norvégienne dehors, avec ses amis…
C’est cela qui est terrible. Vous essayez de satisfaire les attentes de deux groupes antagonistes, et vous vous perdez vous-même en chemin. Vous êtes tellement obsédée par les autres que vous ne savez plus qui vous êtes. Vous ne vous interrogez surtout pas sur vos propres désirs. Parce que si vous osiez vous poser la question, les conséquences seraient désastreuses. Vous risqueriez de vous retrouver toute seule, à devoir prendre votre vie en main. Et quand on a quatorze ans, c’est une idée terrifiante.
La situation que vous décrivez est celle des filles, les fils ne sont pas confrontés aux mêmes problèmes ?
C’est toujours aux filles que les parents demandent de s’habiller correctement, de parler correctement, de se tenir bien, et de rester à la maison, tandis que les garçons sortaient et étaient libres de leurs mouvements.
Vous vous êtes inspirée de votre expérience pour écrire ce film ?
Comme Nisha, j’avais essentiellement des amis norvégiens et je ne comprenais pas pourquoi je ne pouvais pas vivre comme eux. J’ai été kidnappée par mes parents et envoyée au Pakistan vivre plus d’un an chez des membres de ma famille quand j’avais 14 ans. Après je n’ai quasiment jamais revu mes parents durant 26 ans. Ce n’est que lorsque mon père m’a contactée, parce qu’il était gravement malade, que j’ai pu renouer avec lui. Il m’a demandé pardon, ce à quoi je ne m’attendais absolument pas. Il a su que je faisais un film d’après mon expérience, et il m’a encouragée à le faire. On a renoué un vrai rapport. J’ai pu lui pardonner. Nous sommes vite redevenus très proches. Hélas, il est décédé avant que le film ne soit terminé.
Vous auriez pu raconter cette histoire dans votre premier film ?
Je voulais avoir la maturité nécessaire pour raconter cette histoire sans accabler les parents ni faire de l’adolescente une pauvre victime. J’ai essayé d’élargir mon champ de vision, de comprendre la pression sociale, très forte, que subissait la génération, déracinée, des parents. J’ai rencontré des psychologues, des responsables d’association pour la protection des enfants, ainsi que des adolescentes qui appartenaient comme moi à une double culture.
Comment s’est passé le tournage en Inde ?
C’était magique de tourner au Rajasthan, la terre de mes ancêtres paternels. Je connaissais la langue, ce qui a facilité les choses. J’ai pu prendre de nombreuses photos, et échanger des impressions avec mon père, à mon retour. J’ai aussi adoré que l’équipe soit composée d’Indiens, de Danois, d’Allemands, de Suédois. Maria Mozhdah qui joue mon héroïne a été extraordinaire. Elle n’avait que 17 ans, mais elle a su incarner ce personnage avec fougue et une grande sincérité.
C’était important pour vous de raconter cette histoire ?
C’était fondamental. Sinon, c’était le « Que vont dire les gens » qui aurait gagné…