Marco
Kreuzpaintner
Qu’est-ce qui vous a intéressé dans ce roman ?
« L’Affaire Collini » fait partie de ces histoires d’ordre moral qui sont aujourd’hui rares, où l’on peut d’une part être indigné par une forme de monstruosité, et en même temps accompagner le héros dans sa quête de la justice. Ici, la monstruosité est cette loi Dreher instaurée en 1968 qui a laissé plusieurs milliers de criminels du Troisième Reich s’en sortir impunis. « L’Affaire Collini » montre que c’est dans notre devoir de citoyen de défendre la justice. Ce genre de bataille vaut toujours le coup. J’avais été très impressionné par le roman de Ferdinand von Schirach. Et le choix de l’acteur Elyas M’Barek dans le rôle principal m’a convaincu. C’est bien qu’il ne corresponde pas à l’image traditionnelle que l’on peut avoir d’un avocat. Quelqu’un comme lui aurait été un vrai outsider dans le monde juridique, en 2001, à cause de ses origines. Son côté marginal apporte une vraie dimension à cette histoire.
Comment décririez-vous votre collaboration avec Elyas M’Barek ?
Il a fait énormément de recherches, il a visité des cours d’assises, s’est entretenu avec des avocats jusqu’à connaître le code pénal par cœur. Il savait exactement comment un avocat doit agir, ce qu’il doit éviter de faire, ce qui est considéré illégal ou en violation des procédures. On s’est rencontrés longuement et fréquemment avant le tournage, on a relu le scénario ensemble, affiné chaque dialogue et réexaminé les positions que l’on souhaitait prendre. Sur le tournage j’ai vu qu’il travaille beaucoup à l’instinct pour arriver au cœur de chaque scène. Il est concentré et disponible, et j’ai pris un immense plaisir à notre collaboration.
Comment avez-vous rencontré Franco Nero pour le rôle-titre ?
Je lui ai envoyé une lettre personnelle. Ensuite on m’a dit « Mr Nero est intéressé et voudrait vous rencontrer à Rome ». Il habite près du Vatican ; j’avais rendez-vous à midi et c’était l’une des journées les plus chaudes de l’année, je suis arrivé dégoulinant de transpiration. Imaginez la scène : devant moi, une route mène à une colline, le Vatican est derrière moi et Franco Nero m’attend au milieu de la route. C’était une scène de cinéma : j’étais bien face à une légende du cinéma, un homme qui a tourné plus d’une centaine de films.
Comment avez-vous gagné sa confiance ?
A la fin du déjeuner sur sa terrasse, au moment où je m’apprêtais à parler de l’histoire, ma chaise en plastique a craqué. Je me suis retrouvé assis par terre et je me suis dit : « ce rendez-vous n’aurait pas pu être pire ! » Franco s’est immédiatement levé, est venu m’aider et m’a fait apporter une autre chaise. Au moment où il s’est rassit, c’est sa chaise qui a craqué ! On a éclaté de rire : la glace était rompue... Une vraie amitié est née entre nous.
Pourquoi avoir choisi Alexandra Maria Lara?
Parce que c’est non seulement une actrice talentueuse mais aussi une femme qui n’a pas un grain de méchanceté dans l’âme. Je pense que sa tendresse est un signe de courage et c’est ce qui plait au public. C’est quelqu’un qui réchauffe les cœurs.
Le duel entre Heiner Lauterbach et Elyas M’Barek est très symbolique de votre vision de la justice ?
Oui, ils incarnent des points de vue philosophiques légaux très différents : Richard Mattinger représente clairement la position juridique formelle qui ne jure que par la lettre de la loi, tandis que Caspar milite pour la justice.
Vous avez utilisé plusieurs caméras dans la salle d’audience ?
Nous avons tourné avec trois caméras simultanément. Cela nous a permis de répéter et jouer les scènes sans interruptions, sur des prises de parfois trente minutes. C’était comme au théâtre : on commençait par travailler avec les acteurs uniquement sur les dialogues, ensuite on chorégraphiait les mouvements tout en incorporant les idées des acteurs et enfin on filmait. Je dois dire que notre directeur de la photographie, Jakub Bejnarowicz est l’un des meilleurs d’Europe. Il a une façon très organique de travailler avec la lumière. Par ses mouvements de caméra et à la façon dont elle flotte à travers l’espace, il réussit à ce que chaque émotion qui transparait sur les visages de chaque acteurs soit visible à l’écran. Sa technologie m’a fourni une immense liberté parce qu’elle lui permettait de réagir à la seconde. Il a tourné en prise de vue anamorphique, en format Super Widescreen et en Scope. Le film se joue sur trois niveaux temporels : en 2001 quand Caspar paraît en cour d’assise, en flashbacks pour les souvenirs de Caspar dans les années 80 et dans l’année 1944. On tenait à ce que ces scènes de 1944 aient de fortes résonnances contemporaines, c’est pourquoi nous les avons tournées en digital comme les scènes se passant en 2001. Il n’y a que les scènes des années 80 que nous avons tourné en analogue au format classique de 35mm et je pense que tout cela a donné un résultat visuel très excitant.
Quel était votre plus gros défi en réalisant ce film?
Les scènes de tribunal étaient particulièrement compliquées : quatre-vingt figurants, six stars allemandes et une star internationale. Chaque acteur souhaite qu’on lui apporte une attention particulière et qu’on s’assure que tout le potentiel décrit au scénario soit exploité, voire surpassé, au moment de filmer. Il est inévitable qu’à un moment donné on atteigne nos propres limites verbales, physiques et mentales. Le meilleur conseil à donner à tout réalisateur est donc d’oublier son ego à l’entrée du plateau tous les matins et donner toute son énergie au film.
Votre dernier mot sur « L’Affaire Collini » ?
Ce film traite de l’un des plus gros scandales de l’histoire judiciaire allemande. J’espère qu’il permettra d’informer tous ceux , et ils sont nombreux, même en Allemagne, qui en ignoraient l’existence.