Gabriele
Muccino
Ce film est le fruit de plusieurs mois de travail…
Je dirais un an et demi de travail et probablement 15 ans de réflexion ! J’ai mis énormément de temps à l’élaborer, parce que c’était un peu le film que j’avais peur de faire. Le film est librement inspiré de « Nous nous sommes tant aimés ! », de « Une vie difficile » et de tous ces archétypes de la comédie italienne. Ce sont des films qui m’ont formé et qui sont très présents dans mon subconscient. Ils me guident inconsciemment dans l’écriture de mes scénarios.
Donc, au départ, vous pensiez à Scola ?
Exactement. Mais lors de l’écriture, je me suis aperçu que beaucoup des valeurs racontées par Scola n’ont plus de sens. L’idéologie politique, l’antagonisme entre les méchants riches et les pauvres isolés n’ont plus la même signification. Ma génération a développé un complexe d’infériorité envers ceux qui ont vécu l’après-guerre, la reconstruction du pays, le boom économique, l’année 68 et les années de plomb. Nous sommes une génération d’apolitiques, déboussolés par toutes ces idéologies et par ce savoir politique que nous n’avons pas su transformer.
De quoi parle le film ?
Le film couvre quarante ans d’histoire de l’Italie. C’est aussi l’histoire de quatre personnages que l’on découvre à seize ans, qui deviennent adulte, et j’essaye de regarder comment le temps va se charger de faire évoluer leur amitié.
Les quatre personnages ont des caractéristiques bien précises. Qu’est-ce qu’on retrouve de vous à travers ces personnages ?
Il y a énormément de moi dans chacun d’entre eux. Il y a un peu de moi aussi dans les personnages moins positifs du film. Je suis partout, je les ai tous connus.
Le personnage de Pierfrancesco Favino, avocat renommé, est un garçon qui a grandi dans la pauvreté et qui redoute l’exclusion sociale. Beaucoup se reconnaitront dans cette recherche effrénée de la nécessité des rapports humains.
Le personnage de Claudio Santamaria, artiste médiocre qui aspire à devenir critique de cinéma mais qui finit par vivre la vie d’un rêveur désargenté, représente ma génération perdue, qui suit les mouvements politiques et pense que l’honnêteté suffit à affirmer ses convictions. Naïve, c’est cette génération qui participe aux manifestations pour tenter d’exprimer ses opinions refoulées.
Le personnage de Kim Rossi Stuart est plus posé, pacifiste. C’est un perdant qui vit encore avec sa mère et se laisse diriger par la femme de sa vie. Il trouve l’épanouissement lorsqu’il adopte enfin une vision assumée de la vie, dénuée de toute victimisation, et arrête de dépendre de l’approbation de ses proches.
L’anti-héroïne Micaela Ramazzotti, est une femme désespérée, à qui le sourire d’un ami, un regard ou un flirt suffisent pour retrouver sa vitalité. Elle revient vers l’homme qu’elle a toujours aimé, parce qu’il représente son foyer. L’humanité est pleine d’imperfections, il était donc plus intéressant de dresser le portrait d’une anti-héroïne, qui se heurte aux obstacles de la vie.
Comment travaillez-vous avec vos acteurs ?
Le travail du réalisateur rejoint celui du directeur d’orchestre. Les acteurs ont toujours besoin d’un chef qui, comme un directeur d’orchestre, leur fournisse le tempo sur le tournage. Avec le temps j’ai appris à comprendre ce qui pouvait être amélioré et comment m’y prendre. Mais tout dépend des acteurs que j’ai en face de moi. Certains donnent le meilleur d’eux-mêmes si je les fais se sentir fragiles, alors que d’autres ont besoin d’être chouchoutés et rassurés. Mais le plus important est de réussir à leur faire perdre le contrôle de ce qu’ils font.
Comment faites-vous pour les amener là où vous le voulez ?
Je choisis des acteurs très talentueux et j’organise de nombreuses répétitions plusieurs semaines avant le début du tournage pour affiner les dialogues, comprendre le rythme de chaque scène, leur donner la possibilité d’apprendre à se connaître et de développer une certaine alchimie entre eux. Cela me permet de voir comment je peux faire évoluer mes personnages par rapport à ce que j’ai écrit au scénario, qui reste un work in progress. C’est un long processus, qui me passionne.
En quoi ce film est-il différent, par rapport à vos films précédents ?
Je pense que la grande différence est que je n’ai pas mis au centre de l’histoire un individu névrosé ou stressé qui agit en conséquence. Cette fois, j’ai choisi le temps comme moteur principal. Le temps est le grand marionnettiste qui modèle les personnages, leur crée leur destin, leur propose des situations inattendues et leur impose des choix. C’est le moment auquel ces situations font irruption dans nos vies qui nous donne l’opportunité d’ouvrir une porte plutôt qu’une autre.
Les chansons de Claudio Baglioni rythment le film…
Oui, parce qu’à travers ses chansons Claudio Baglioni symbolise tous les italiens qui sont tombés amoureux ces cinquante dernières années. Si on tombait amoureux, on chantait du Baglioni. C’est aussi un hommage à cette culture populaire.
C’est intéressant de parler d’amitié à l’heure des réseaux sociaux…
Pour moi, l’amitié est sacrée. Je ne supporte pas cette fausse signification qu’on en donne sur Facebook par exemple. C’est un changement qui a fait dérailler le monde, qui a changé la perception de la réalité, qui a créé de nouvelles formes de solitude et de colère. Se retrouver sur une place au milieu de gens force à la confrontation et à la communication, avec une vraie dialectique. Les gens sur Facebook ne font que des commentaires absurdes. Plus le temps passe et plus j’ai l’impression que ces outils sont voués à évoluer, et je veux croire en quelque chose qui soit plus proche de l’homme et à son besoin d’exposer réellement qui il est, plutôt que de simuler une identité afin d’obtenir le plus de likes possibles.
Comment le cinéma doit-il évoluer selon vous ?
Pour satisfaire le public, il y a plusieurs possibilités. On peut l’emmener dans l’espace, on peut lui faire peur. On peut aussi miser sur son empathie. Je me reconnais dans cette dernière catégorie. L’idéal, auquel sont parvenus des classiques comme « Kramer contre Kramer » ou « Le voleur de bicyclette », c’est de réussir des films qui parlent de la vie avec tellement de force qu’ils en font désormais partie.