Elie Grappe
« OLGA » par Elie Grappe
Fin 2015, après un court-métrage sur la danse classique, j’ai coréalisé un documentaire autour d’un orchestre, dans l’univers des conservatoires que je connais bien. J’y ai filmé une violoniste ukrainienne arrivée en Suisse juste avant Euromaïdan. Le trouble avec lequel elle m’a raconté la révolution, et la façon dont les images l’avaient atteinte, m’a profondément touché. J’y ai trouvé la jonction entre les différents motifs qui m’intéressaient pour mon premier long-métrage : filmer la passion d’une adolescente, le corps en action, et mettre face à face son enjeu individuel et des enjeux collectifs. Explorer le lien possible entre frontières géographiques et frontières intimes. Faire un film sur l’exil, avec une héroïne qui ne se sent pas à sa place, tiraillée entre plusieurs fidélités, et confrontée à une situation géopolitique qui la dépasse. Comment pourra-t-elle concilier son désir personnel avec le cours de l’Histoire ?
La gymnastique, comme la musique ou la danse, incarne l’effort que de très jeunes gens peuvent exiger d’eux-mêmes au nom de leur passion. C’est un sport à la fois individuel et collectif, ce qui résonne avec le dilemme d’Olga.
Pleine de sons et en perpétuel mouvement, c’est une discipline très cinégénique. Ce qui m’intéresse dans ce sport codifié, c’est aussi de filmer ses interstices : le souffle avant une figure, le regard, les hésitations et les erreurs. Ce sont les moments où l’on perçoit la vulnérabilité des gymnastes c’est-à-dire leur humanité. Et où on prend conscience des risques qu’elles prennent.
Je filme une discipline dans laquelle les mots ne sont pas au centre. Projetée dans le pays d’un père qu’elle n’a presque pas connu, Olga maîtrise mal la langue française. Si la jeune fille est bavarde sur Skype avec sa mère ou son amie Sasha, elle enchaîne les blocages et les lapsus avec les Suisses. Olga est adolescente : c’est l’âge où l’identité est trouble jusque dans la chair, puisque le corps change. C’est en même temps le pic d’une carrière de gymnaste.
Euromaïdan est pour moi une révolution particulièrement intéressante à observer : les manifestants étaient de tous bords politiques et de toutes les couches sociales. Au sein d’une société aussi fracturée, c’était un élan inouï de solidarité. Pour le représenter, je n’ai utilisé que des vidéos prises par les manifestants eux-mêmes, avec leurs téléphones et au coeur de l’évènement. J’ai été
happé par l’intensité, la présence des corps dans ces images, qui traduisent une urgence collective de montrer.
Depuis la Suisse où elle s’entraîne, Olga est envahie par les images de sa ville, qu’elle ne reconnait plus. Elle qui se veut une athlète surpuissante se découvre totalement démunie face aux évènements qui perturbent la vie de sa mère et de ses proches. Quand ces vidéos font irruption dans son quotidien de gymnaste, Olga se retrouve dans un monde flottant, un espace entre-deux, en tension permanente. C’est ce conflit que met en scène le film.
La Suisse est le lieu où Olga est à la fois le plus en sécurité et qui est le plus éloigné de ce qui se passe chez elle. La Confédération, au centre de l’Europe sans en faire partie, revendique une neutralité et une distance qu’Olga ne pourra jamais avoir.
Macolin, véritable lieu d’entraînement des athlètes olympiques suisses, se situe dans les hauteurs de Bienne. Il s’agit d’un petit plateau de montagne très fermé, huis-clos à ciel ouvert, où l’hiver est aussi beau qu’anxiogène. C’est à cette nature feutrée, protégée, que se confrontent les images d’Euromaïdan au long du film.
Olga n’a que sa passion pour la gym à laquelle se raccrocher. Elle est en période d’essai pour l’équipe suisse et, si elle veut l’intégrer, elle doit en adopter
la nationalité. En Ukraine, tu perds ton passeport si tu en prends un autre ailleurs. Mais Olga veut-elle choisir ?
Anastasia Budiashkina incarne Olga. Elle est la clé de l’émotion du film. Pour elle comme pour tous les rôles de gymnastes, je n’ai pas souhaité travailler avec des actrices professionnelles. Il fallait chercher à capter la vérité des interprètes : pour cela j’ai choisi des jeunes athlètes d’élites, habituées aux risques des entraînements, à la vie au sein d’un centre et à la spectacularité d’un championnat. Les interprètes d’Olga et Sasha font partie de l’équipe nationale de réserve en Ukraine. Les coachs et plusieurs athlètes – notamment Steffi et Zoé – font partie de l’équipe nationale suisse. Je les ai toutes rencontrées pendant l’écriture. Leurs témoignages ont permis d’enrichir et de préciser le scénario, même si les personnages sont restés fictifs.
Ce qui m’a intéressé chez ces jeunes sportives, c’est l'écart entre leur idéal de perfection et ce qu’elles sont en dehors de leur pratique : des adolescentes pétries d’émotions, avec leur force, leurs peurs et leurs désirs contradictoires. Elles m’ont accordé leur confiance et ont traversé ce long tournage avec un incroyable courage.
Sur le plateau, j’ai demandé aux interprètes d’entrer
dans les situations avec leurs propres mots, leurs émotions, leurs réactions. Mon travail a consisté à proposer l’espace dans lequel elles ont été libres de me surprendre, d’apporter aux personnages des couleurs plus vives et plus ambiguës que celles que j’avais imaginées.
Filmer des athlètes de haut niveau demande un dispositif particulier, qui respecte leurs efforts physiques considérables. Pour les scènes de gymnastique, le tournage s’est adapté au rythme des entraînements. La fiction s’est alors insérée dans des situations quasi-documentaires.
L’écriture a commencé en 2016. En 2020, le tournage a été interrompu par le coronavirus et s’est finalement achevé neuf mois après son démarrage.
Aujourd’hui enfin, je suis très heureux de pouvoir vous présenter « OLGA ».